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Notes d'Itinérances
10 juin 2016

Luanda, la perle de l'Afrique (22/26). Scènes de rue à Luanda.

La lutte quotidienne pour l’espace vital, sur les toits comme sur les trottoirs

 

 

Le samedi matin, par la fenêtre de ma chambre, je remarque un étonnant manège qui se déroule sur la terrasse d’un immeuble du centre-ville. Tout un groupe d’hommes s’active, l’un a enjambé la rambarde et nettoie consciencieusement le rebord de la terrasse, au huitième étage, au-dessus du vide, faisant tomber poussières et ordures le long de la façade où sèchent draps et vêtements ; un autre hisse, à force de bras, un minuscule seau jusqu’au dernier étage... Serait-ce le jour d’un grand nettoyage communautaire de l’immeuble ? Un « samedi communiste » ? Mais, petit-à-petit l’excitation retombe, il y a moins d’hommes sur le toit et ils ne s’agitent plus mais discutent. Une heure plus tard, plus personne. Il ne reste que la corde pendante du petit seau.

 

Le lendemain matin, c’est à nouveau l’agitation sur la terrasse de l’immeuble. Le petit-déjeuner au restaurant, au onzième étage, me permet d’avoir une vue plongeante sur la plate-forme et de comprendre enfin la cause de cette effervescence. Foin des « samedis communistes » de grand nettoyage, c’est plus prosaïquement une famille qui est en train de se construire une bicoque sur la terrasse de l’immeuble, en plein centre-ville avec une vue imprenable. Il y en a d’ailleurs plein de ces cahutes sur les terrasses, quelques-unes mêmes assez coquettes, toutes de blanc revêtues.

 

Décidément, la rua da Missao semble être le rendez-vous des Blancs, le dimanche matin, pour partir pique-niquer sur les plages de l’île ! Hommes en bermudas colorés, dames en robes légères à fleurs, ils s’attendent, se croisent, se saluent, s’embrassent, font laver leur voiture avant de partir ensembles, tables et chaises de jardin sur le toit de la Mercedes !

 

Les voitures se lavent à même les trottoirs en utilisant des sources d’eau inconnues, avec toujours le même chiffon sale. C’est un des petits métiers les plus courants en centre-ville. Je suppose que chacun de ces petits entrepreneurs privés a ses clients et son territoire bien délimité par un arbre, un réverbère, un tas d’ordure ou une épave. Comment se définissent ces territoires ? Comment se superposent-ils entre laveurs de voiture, marchandes de légumes, cireurs de chaussures ? Le passant ne voit rien de ces multiples frontières qu’il traverse sans passeports ni visas mais qui organisent la vie de tout un petit peuple qui survit dans ces territoires chèrement conquis tous les jours. Est-ce pour le non-respect d’une de ces règles non écrites, mais pourtant terriblement coercitives, que deux jeunes laveurs de voiture en viennent aux mains ? Le premier tient le second à la gorge et menace de lui envoyer son poing dans la figure, ce qu’il ne fait pas, bien évidemment. Il parle, il engueule, il menace, il brandit le poing, et attend qu’un troisième comparse vienne lui saisir le bras, ce qui ne manque pas d’arriver. On les sépare, ils s’injurient encore un peu, le premier fait mine de foncer à nouveau sur son adversaire, mais on sent que l’honneur est sauf pour chaque partie. Il n’y croit plus, c’est seulement le baroud final qui lui permet de partir la tête haute. Pendant ce temps, le Blanc qui avait confié sa voiture au lavage attend, les bras croisés, que les protagonistes finissent de vider leur querelle.

 

Nouvelle altercation. Un adolescent, coiffé d’une belle casquette blanche, réclame quelque chose à un autre adolescent à casquette rose. Il reçoit un coup de poing qui l’envoie rouler dans la poussière et, ici, l’expression ne s’entend pas au figuré, mais bien « au propre », si l’on peut dire, les bords de l’avenue étant couverts d’une épaisse couche de poussière brune mélangée de nombreux détritus, boîtes de bière, packs de jus de fruit, étuis de cigarettes pour ce qui est identifiable. Il se relève en titubant, est-il shooté à la colle ? Sous-alimenté ? Il va réclamer maintenant auprès du couple de Blancs qui attend que l’on ait fini de laver sa voiture en discutant. S’est-il fait enlever un marché par un concurrent plus dynamique ? Il se fait une nouvelle fois brutalement écarter, puis d’un nouveau coup de poing tombe sur le trottoir, un troisième larron en profite pour lui dérober sa belle casquette blanche, un autre lui vide une bouteille d’eau sur la tête. Il s’entête retourne réclamer son dû auprès du couple de Blancs, se fait à nouveau repousser et devient le souffre-douleur de la bande de jeunes laveurs de voitures, claques et coups pleuvent. Les gamins scotchés aux grilles de la vitrine du vendeur de télévisions « Icom » ne tournent même pas la tête et le vigile de l’immeuble ne bouge pas le petit doigt. L’adolescent remonte alors le trottoir vers la place Kinaxixi, toujours en titubant, mais c’est toute une bande de petits laveurs de voitures, de huit à dix ans, établis quelques mètres plus haut, qui se liguent contre lui et l’éjectent de ce qui doit être leur « territoire ». Il finit par traverser la rue en manquant de se faire renverser par une voiture et disparait.

 

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