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Notes d'Itinérances
14 juin 2016

Luanda, la perle de l'Afrique (24/26). Visite du quartier du quartier de Cazenga, au « carrefour du baobab ».

Visite de musseques

  

 

« Entre nous, il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre la ville et la décharge. Je connais des quartiers vastes comme des métropoles, qui ont été bâtis sur les ordures et à partir des ordures, dans une bizarre et cruelle harmonie. J’ai vu des vieux conteneurs rouillés transformés en salons de beauté et des rigoles pour l’écoulement des eaux usées creusées à même les ordures » [1].

 

Un de mes anciens étudiants, Antonio, tient à me faire visiter Luanda, à m’en montrer les différents quartiers, aussi vient-il me chercher en voiture pour une longue balade dominicale dans les bidonvilles, entre les tas d’ordure !

 

En fait, il veut me montrer le quartier où il a vécu étant jeune, du côté du « carrefour du baobab », lequel baobab a bien sûr disparu physiquement depuis fort longtemps. Antonio est un enfant d’une famille pauvre, son père travaillait à la cantine de l’hôpital et sa mère faisait des ménages. Second de sept enfants, il a perdu son père quand il avait dix ans, et a quitté ainsi brutalement le temps de l’enfance. Il a alors beaucoup travaillé pour réussir au lycée, puis il a quitté sa famille pour l’université de Huambo, puis pour la France où il a fait des études de technicien supérieur. De retour au pays, il a voulu aider ses petits frères dans leurs études, mais sans succès. Il est resté le seul à avoir terminé des études secondaires.

 

Son quartier est un quartier de baraques couvertes de tôle, aux routes de terre battue, sans eau ni assainissement. Nous longeons l’ancien centre de formation professionnelle de Cazenga que j’étais venu visiter en 1992. C’était un vaste établissement réalisé par la coopération de la République Démocratique Allemande possédant un matériel technique et pédagogique imposant. Les coopérants allemands étaient alors dans une situation difficile, ils étaient devenus citoyens de l’Allemagne Fédérale alors que celle-ci avait brutalement stoppé la coopération avec l’Angola et refusé de verser leurs salaires. Ils s’accrochaient là par désespoir, sans revenus et sans souhaiter rentrer dans une Allemagne qui ne les connaissait plus. Antonio m’affirme qu’ils sont restés pour la plupart en Angola où ils font désormais du « business » comme le responsable qui m’avait fait visiter le centre et qui était alors très fier de cette coopération avec l’Angola. A la Toussaint 92, au cours des événements qui ont vu s’affronter UNITA et MPLA, le centre que j’avais vu si bien équipé a été entièrement pillé. Il n’en reste aujourd’hui que les murs en béton ; mobilier, matériel, machines, portes, fenêtres, lampes, fils électriques, sanitaires, tuyaux, tout a été arraché, enlevé et emporté.

 

Nous naviguons entre des montagnes d’immondices sous lesquels finissent même par disparaître les carcasses des voitures, des fosses où croupissent des liquides visqueux, entre des squelettes d’autocars ou de véhicules de chantiers, niveleuses, bulldozers, grues. Le parc de véhicules de la société des transports de Luanda aligne des centaines et des centaines d’épaves d’autobus Volvo couverts de poussière brune. Il parait que l’on en compte mille ! A chacun, il manque un élément qui permette de le faire rouler, alors ils sont remisés, alignés les uns à côté des autres avec le plus grand soin, comme pour une parade.

 

Il est étonnant de constater combien cette situation est différente au Cambodge et au Viêt-Nam où tout est récupéré, papiers, journaux, verre, métal... Les rues y sont constamment balayées, les immondices récupérées et triées. Les véhicules hors d’usage sont entièrement démontés pièce à pièce, les carrosseries rétamées au marteau, puis de tout ce monceau de pièces détachées on fabrique un nouveau camion flambant neuf qui repart pour trois cent ou quatre cent mille kilomètres.

 

Petit à petit, Luanda se dilue, mélangeant jardinets, baraques et friches recouvertes d’une couche superficielle de lambeaux de sacs plastiques, de morceaux de carton et de boîtes métalliques de bière ou de Seven-Up. Plus l’on s’éloigne du centre-ville et plus la friche se développe. Il parait qu’autrefois toute cette zone était agricole. Aujourd’hui, tous les produits alimentaires pour nourrir la population de Luanda arrivent par le port, blé, riz, viandes, boissons, conserves et quelques légumes pour les plus riches et, s’il existe maintenant une usine de yaourts, ils sont fabriqués à partir de produits laitiers importés eux aussi.

 


[1] José Eduardo Agualusa. « Barroco tropical ». 2011. (note de 2015).

 

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