Sallustiano - Un quartier d'administrations (2/11). Santa Maria de la Vittoria et la Transverbération de Sainte-Thérèse.
Une sculpture exceptionnelle de Bernini – Dans une configuration qui relève du spectacle
L’église Santa Maria della Vittoria est le monument le plus fréquenté du quartier mais n’allez pas croire que les touristes s’y pressent pour y admirer la sculpture de la Transverbération de sainte Thérèse d’Avila du Bernin (photo) ! Vous ne risquez rien sinon quelques touristes égarés et, parfois, un groupe d’admirateurs de l’artiste. L’église, située via XX Settembre, à quelques pas de la Piazza della Répubblica, a été construite sur un projet de Carlo Maderno. Elle célèbre la victoire, en 1620, des armées catholiques contre celles des protestants à la Montagne blanche, dans les environs de Prague. Outre la fin de l’indépendance du royaume de Bohême, la bataille assure la place du catholicisme en Autriche et dans le sud de l’Allemagne. C’est une église modestement baroque avec néanmoins tout ce qu’il faut de marbres colorés et de surcharges décoratives pour ne pas intéresser un Français. La statue, composée entre 1647 et 1652, est située dans la chapelle du transept gauche. Dans un décor richement orné de marbres et de dorures, elle représente la sainte dans une pose alanguie, la tête basculée en arrière, au moment où un ange s'apprête à lui transpercer le cœur avec une lance en or. Une source de lumière naturelle est dissimulée derrière le fronton brisé de la niche et, accompagnée par de fins rayons dorés qui descendent en s’évasant, la lumière vient baigner la sculpture d’une clarté douce.
Sainte Thérèse d’Ávila (1515 / 1582) était une mystique, de l’Ordre du Carmel, entretenant avec Dieu une relation intime. Elle relate une de ses extases [1], survenue en avril 1560, au cours de laquelle son cœur aurait été transpercé spirituellement par un long dard tenu par un ange. La « transverbération » (du latin transverberare, transpercer, traverser de part en part) est un phénomène mystique par lequel l’élu reçoit dans son corps une blessure spirituelle, infligée par un être divin (Dieu, le Christ ou un ange) au moyen d’une arme. Canonisée en 1622, sainte Thérèse d’Avila est une figure importante de la Contre-Réforme catholique de la fin du XVIe siècle en lutte contre l’hérésie protestante. Autant dire qu’elle a toute sa place dans une église consacrée à la victoire de la Montagne blanche ! La maîtrise remarquable de l’artiste s’affirme dans la représentation de la jouissance physique et spirituelle vécue par la sainte, une extase à la fois douloureuse mais aussi une trouble jouissance, une extase spirituelle et un plaisir physique. Dans « Rome », un des personnages de Zola se rend régulièrement devant l’œuvre pour y connaître lui aussi des extases artistiques et spirituelles, mêlées de troubles physiques et sexuels…
« Ah ! Mon ami, déclara-t-il de son air las, les yeux noyés de mauve, ah ! Mon ami, vous n’avez pas idée de son troublant et délicieux réveil, ce matin… Une vierge ignorante et pure, et qui, brisée de volupté, ouvre languissamment les yeux, encore pâmée d’avoir été possédée par Jésus… Ah ! C’est à mourir ! » [2]
Le caractère théâtral de la composition est souligné par la présence de spectateurs dans des tribunes situées de chaque côté de la chapelle, les membres de la famille Cornaro qui ont commandé l’œuvre. Ce que ces personnages regardent et discutent avec assez peu de sérieux, ce n’est pas une scène mystique, mais sa représentation sous la forme d’une action triviale, celle de la jouissance érotique. Comme, on ne peut pourtant pas suspecter Le Bernin d’irrespect envers la religion, c’est donc, qu’à l’époque baroque, l’art de la représentation était considéré comme la vie même, mêlant de manière indissociable l’âme et le corps [3].
Mais, ce matin, la lumière naturelle ne pénètre pas bien par l’oculus et c’est un petit jour triste qui baigne la sainte de sa lumière et la fait paraître un peu poussiéreuse [4]. Pas d’extase donc, ni sacrée, ni triviale. Mais quand même, quel remarquable toupet de la part du Bernin que d’avoir fait de cette œuvre le centre d’une scène de théâtre !
[1] Thérèse d’Avila. « Le livre de la vie ». 1588. Cité par Wikipédia.
[2] Émile Zola. « Rome ». 1896.
[3] Françoise Delbary. « La substance du « jouir ». In « Che vuoi », vol. 29, n°1. 2008.
Tony Gheeraert. « Maniérisme et baroque, des arts plastiques à la littérature ». Université de Rouen.
[4] L’œuvre a été dépoussiérée et restaurée en 2015.