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Notes d'Itinérances
26 novembre 2019

Campo Marzio - Entre Corso et Tibre (15/20). La via di Pallacorda.

Une rixe qui tourne mal

 

 

En sortant à droite du vicolo del Divino Amore, se trouve le palais de Florence dans la via dei Prefetti. Sa construction a commencé en 1516. En 1551, le bâtiment est racheté par le pape Jules III Del Monte (1550 / 1555) pour sa famille. L’architecte Bartolomeo Ammannati réalise alors le portail extérieur et le bâtiment opposé à l'entrée de la cour avec le très bel ensemble au centre de la façade : une porte entourée de niches à coquille, surmontée d’une baie serlienne flanquée de deux autres niches. La loggia est décorée à fresques par Prospero Fontana. En 1561, le palais est la propriété de Côme Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, et est désormais connu comme le « palais de Florence ». Le palais devient la résidence des Médicis à Rome qui font décorer des chambres de l'étage principal par Jacopo Zucchi, un élève de Vasari.

 

La via di Pallacorda est une rue parallèle au vicolo del Divino Amore, de l’autre côté du Palais de Florence. Elle a la particularité d’être en forme de Y et relie les rues Srofa, dei Prefetti et del Clementino. Elle doit son nom à la présence d’un terrain de jeu de paume, l’ancêtre du tennis, dans un terrain situé en face de la façade latérale du Palais de Florence. Ce jeu de paume fut ensuite transformé en théâtre ; reconstruit en 1840, le théâtre fut fermé et une nouvelle fois détruit pour faire place à un garage en 1936 [1].

 

Le Caravage vouait une véritable passion à ce jeu de balle et il fréquentait régulièrement le lieu. Le 28 mai 1606, au cours des fêtes de rue, à la veille de l'élection du pape Paul V Borghèse, sept ou huit hommes armés s'affrontent via di Pallacorda. D’un côté Caravage, son partenaire Onorio Longhi, le capitaine Petronio Troppa, soldat au Château Saint-Ange, et peut-être son collaborateur Mario Minetti et, de l’autre côté, des membres et amis de la famille Tomassoni, parmi lesquels Ranuccio Tomassoni, son frère Giovan Francesco, « Président du rione du Champs de Mars » et Ignazio et Federico Lugoli. 

 

Les ouvrages contemporains ne s’accordent pas sur les participants de la rixe car les documents de l’époque seraient ni complets, ni concordants. Ce qui est sûr, c’est que pendant le combat Caravage tue Ranuccio Tomassoni d'un coup d'épée ; lui-même est blessé et l'un de ses camarades, Troppa, est également tué par Giovan Francesco. Il semble que Caravage et Tomassoni se connaissaient et avaient l’habitude de se croiser. Tomassoni n’a d’ailleurs pas une meilleure réputation que Caravage et menait une vie dangereuse et insouciante, entre tripots et bordels. La querelle pourrait avoir pour cause une obscure dette de jeu, se montant à 10 écus, que Le Caravage devait à Tomassoni [2]. Pour d’autres, la risque pourrait avoir pour cause une rivalité amoureuse ancienne : ils auraient été amants de Fillide Melandroni [3], une courtisane qui faisait commerce du côté de la via dei Condotti. Enfin, ils appartenaient à des partis opposés ! Le Caravage était lié au parti français par son protecteur, le cardinal Del Monte, alors que Tomassoni était du parti espagnol, un de ses frères servait dans les troupes espagnoles ; France et Espagne s’efforçaient alors soit de développer leur présence en Italie, soit d’influer sur la politique des papes. Ce meurtre vaudra au Caravage une condamnation à mort par contumace en juillet, ce qui lui aura laissé le temps de fuir vers le Latium. Il ira ensuite à Naples, La Valette, Syracuse, Palerme, Naples à nouveau avant de tenter de rentrer à Rome dans l’espoir d’une grâce papale.

 

Un de ses derniers tableaux, « David tenant la tête de Goliath », qu’il destinait au neveu du pape, le Cardinal Scipion Borghèse, est exposé à la Galerie Borghèse. Outre le traitement sombre et macabre de la scène, avec cette tête aux yeux ouverts comme si elle était encore vivante, le tableau est d’autant plus poignant que ce Goliath est un autoportrait ! Comme si Le Caravage offrait sa tête au Pape pour obtenir l’autorisation de retourner à Rome. Et c’est bien de cela qu’il s’agirait car sur l’épée de David est portée l’inscription « H.AS O S », initiales de la devise « humilitas occidit superbiam » (l’humilité tue l’orgueil). Par cette œuvre envoyée au neveu du Pape, Le Caravage implore la clémence du Pape.

 


[1] Site de Roma Segreta.

[2] Alain Dervaux. « Les passages à l’acte dans la vie et l’œuvre du Caravage (1571-1610) ». L’information psychiatrique. Vol. 82, N° 6 - juin-juillet 2006. 

[3] Le Caravage a effectué un portrait de Fillide Melandroni, vers 1599. Lors des bombardements de 1945 sur Berlin, le tableau a été détruit dans l’incendie du bunker dans lequel il était conservé. Portrait un peu fade quand on le compare aux œuvres dans laquelle Fillide Melandroni servit également de modèle, Judith et Holopherne, La Conversion de Madeleine ou sainte Catherine d’Alexandrie.

 

Liste des promenades dans Rome et liste des articles sur Campo Marzio entre Corso et Tibre

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