Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Notes d'Itinérances
9 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (9/69). Tunis, le souk des chéchias.

Un souk tranquille et endormi

 

Tunisie Tunis Souks des babouches

« Dans la ville arabe, la partie la plus intéressante est le quartier des souks, longues rues voûtées ou toiturées de planches, à travers lesquelles le soleil glisse des lames de feu, qui semblent couper au passage les promeneurs et les marchandises » [1].  

 

Après le souk aux touristes, animé, coloré, éclairé, dont les marchandises clinquantes sont exposées à la convoitise des promeneurs jusque dans la ruelle où les vendeurs vous interpellent, vous vantent faïences, poteries et plateaux de cuivre ; après avoir contourné la grande mosquée de Tunis, Djamaa es Zitouna, et encore après avoir traversé le quartier des tissus et des parfums, en montant toujours, on arrive dans des ruelles calmes, ombreuses, sans étals entravant votre marche. Dans les boutiques, d’apparence modeste, des petits vieux rangent tranquillement leur marchandise sur des étagères, un vieil homme se penche sur une tâche rouge qu’il caresse amoureusement... c’est le souk des chéchias.

 

« ... on cherchait l’ombre dans les souks, ces grands marchés voûtés ou couverts d’étoffes et de planches ; il n’y pénétrait plus qu’une lumière réfléchie les emplissant d’une atmosphère spéciale ; ces souks paraissaient, souterraine, une seconde ville dans la ville... » [2].

 

Si vous n’êtes pas trop pressé, si vous êtes un peu curieux, un de ces vieillards se fera un plaisir de vous expliquer le long travail d’élaboration d’une chéchia. Première étape, le tricotage, car la fabuleuse chéchia commence sa vie comme un vulgaire bonnet de laine ! Puis, le bonnet est plongé dans un bain d’eau bouillante où il rétrécit et prend un aspect de carton durci. Après être teinté, il faut lui donner enfin son aspect souple et feutré. C’est tout le mérite du cardage, réalisé autrefois avec les mille griffes des têtes de la grande cardère des villes, une espèce de chardon. Il faut peigner, égratigner, écorcher la peau dure de la chéchia jusqu’à lui donner cette belle apparence douce et tendre. Le vieil homme vous montrera fièrement le signe brodé dans le bonnet qui permet de différencier sa production à chacune des étapes de la fabrication. 

 

« C’est un métier, quasiment un art, où les ouvriers portent un profond respect à leur patron-et-maître. (…) Le client sait à qui il a affaire : non point au premier venu, mais à l’héritier d’une longue lignée, au descendant d’une aristocratie de la coiffure, à un prince de la chéchia » [3].

 

Faute de pouvoir transmettre son savoir-faire à de jeunes aides ou à des commis farceurs qui perpétueront la tradition, il tente d’expliquer aux touristes la complexité de la tâche pour faire encore une fois apprécier la qualité de son travail, même si ces touristes vont porter la chéchia par jeu, alors que l’achat de ce couvre-chef s’effectuait autrefois à l’occasion des grandes fêtes familiales [4].

 

Enfin, tout en haut de la Médina, c’est le quartier des ministères, Affaires Étrangères, Premier Ministère, ensemble de palais anciens du XVIIIe, de bâtiments néo-mauresques du temps de la colonisation, et de mosquées aux coupoles blanches. L’ensemble est dominé par la Maison du Parti. Un curieux projet, un rien mégalomane d’Habib Bourguiba, avait prévu d’intégrer celle-ci dans un bâtiment beaucoup plus vaste qui aurait occupé toute la place de La Casbah, faisant également disparaître sous le béton des ruines d’origine romaine. Menaçant de dominer l’ensemble de la ville par un énorme cube de béton, le projet est heureusement tombé à l’eau. Mais, l’idée d’un « habillage » de la Maison du Parti est restée. D’une architecture cubique et moderniste très quelconque, elle est aujourd’hui précédée d’un nouveau bâtiment à la façade de marbre rose, avec porches et arc en fer à cheval outrepassé, colonnes et murs en « moucharabiehs » ! Le coin est tranquille et sert surtout de rendez-vous aux amoureux. Chaque banc de la place est occupé par deux tourtereaux, à la conduite bien sage, tout au plus se tiennent-ils les mains et se regardent-ils dans les yeux.

 


[1] Guy de Maupassant. « La vie errante ». 1890.

[2] André Gide. « Amyntas ». 1896.

[3] Zoubeir Turki. « Tunis naguère et aujourd’hui ». 1967.

[4] « Ils (les chaouchis, les fabricants de chéchias) ne sont plus qu’une dizaine aujourd’hui, dix fois moins qu’en 1980, cinquante fois moins qu’au début du XXe siècle ». Le Monde. « Le reflux de la chéchia tunisienne, emblème national ». 9 octobre 2018. (note de 2018).

 

Liste des articles sur Chroniques tunisiennes 1975 / 2023

Télécharger le document intégral

Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 989 616