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Notes d'Itinérances
8 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (8/69). Tunis centre, aperçu général

Une ville européenne aux rues perpendiculaires – Envahie par la jeunesse chaque fin d’après-midi

 

 

Le centre de la ville coloniale est à plan carré, comme une ville de garnison. Il est constitué d’immeubles de trois à quatre étages avec balcons, fenêtres hautes, colonnes, volutes, à la manière du Paris du baron Hausman. Mais, concession aux traditions locales, la plupart des immeubles ne sont pas de pierre apparente mais sont peints en blanc avec des volets bleus. L’ensemble a conservé son homogénéité début de siècle, le XXe bien sûr. 

 

Par-ci, par-là, il y a bien quelques rares constructions nouvelles ou en cours. Sur un de ces chantiers, un bélier pneumatique enfonce des pieux métalliques dans le sol meuble avec lequel avait été comblé progressivement l’extrémité de la baie. Cette opération s’effectue dans l’indifférence totale des passants, au contraire de l’anecdote contée par Guy de Maupassant, en 1887, au cours duquel ce travail, bien qu’alors très pénible, était l’occasion de se moquer des « roumis ».

 

« Sur le bord du trou, un vieux nègre, chef d’escouade de ces pileurs de pierres, bat la mesure, avec un rire de singe ; et tous les autres aussi rient en continuant leur bizarre chanson que scandent des coups énergiques. Ils tapent avec ardeur et rient avec malice devant les passants qui s’arrêtent ; et les passants aussi s’égaient (...) car le vieux crie :

- Allons ! Frappons !
Et tous reprennent en montrant leurs dents et en donnant trois coups de pilon :
- Sur la tête du chien de roumi !
Le nègre clame en mimant le geste d’écraser :
- Allons ! Frappons !
Et tous :
- Sur la tête du chien de roumi !
Et c’est ainsi que s’élève la ville européenne dans le quartier neuf de Tunis ! » [1].

 

Un siècle plus tard, à six heures du soir, il y a un monde fou sur les trottoirs, les uns appuyés contre les murs, des jeunes hommes, les autres qui marchent, groupes de jeunes hommes et de jeunes filles, les garçons par groupes de trois, quatre ou cinq, les filles, le plus souvent par deux. Les mecs matent les filles, leur lancent une plaisanterie à laquelle elles ne répondent pas, elles passent. Mais les uns comme les autres participent à une des formes les plus anciennes du « Grand Jeu », celui de la séduction en pays méditerranéen, une forme de ce jeu qui semble avoir disparu du Sud de la France. Autrefois, strictement séparés entre filles et garçons à l’école et dans les activités, on allait « faire la promenade » pour se montrer, pour s’examiner, pour essayer de faire connaissance.

 

« Dans chaque ville d’Algérie (comme, du reste, dans chaque ville de la Méditerranée), il existait un lieu de parade, des espaces de trottoir ou de jardin public, où les garçons et les filles allaient et venaient, se croisaient, se dépassaient, se regardaient par en dessous, en douce, mais leurs regards n’étaient pas moins aigus pour autant » [2].

 

Pas un voile, pas une djellaba [3]. Filles et garçons sont habillés comme nos adolescents : pantalon ou jeans, chandail avachi, le tout le plus souvent de couleur noire, et complété par des chaussures à forte semelle pour les filles et, pour les garçons, de baskets. 

 

Mais, à sept heures, quand la nuit tombe, tout à coup plus personne. Ils ont tous disparu comme volée de moineaux ! Les groupes compacts de jeunes hommes se sont volatilisés, les paires de filles se sont évanouies, dans les cafés il n’y a plus que les hommes d’âge mûr sirotant un thé, un café, ou buvant une bière en jouant aux dominos.

 


[1] Guy de Maupassant. « La vie errante ». 1890.

[2] Marie Cardinal. « Les Pieds-Noirs ».  1994.

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