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Notes d'Itinérances
11 novembre 2021

La traversée de Rome par le Corso (16/26). La fontaine de Trevi et l’impermanence des choses - Rione Trevi.

Baroque et rocaille

 

 

Vous connaissez la célèbre scène de « La dolce Vita » [1] dans laquelle Marcello Mastroianni et Anita Ekeberg descendent dans le bassin de la fontaine, au petit matin, après une nuit que l’on pourrait qualifier « d’agitée » ? Souvenez-vous, « Marcello, Marcello… ». Les images du film nous laissent croire que la place est vaste or, elle est toute petite. D’autant plus petite qu’elle est très largement occupée par la fontaine et généralement pleine de monde dans ce qui reste d’espace. En effet, dans la scène du film, il n’y a qu’un spectateur à la baignade de Mastroianni et Ekeberg : un livreur à bicyclette, avec un large plateau posé sur la tête où sont disposés des petits pains ou de la crémerie. En réalité, la fontaine mange toute la place, ce qui est un rare exemple d’une fontaine décorative qui finit par envahir tout l’espace ! 

 

Une fontaine est présente à cet endroit depuis la réalisation de l’aqueduc de l’Aqua Virgo construit par Agrippa en 19 av. J.C pour alimenter ses thermes. Au Moyen-âge, la fontaine était enfermée et son accès protégé par une porte afin de réguler la présence des habitants venus y chercher de l’eau, mais aussi celle des porteurs d’eau (aquaroli) qui venaient y remplir leurs récipients et revendre l’eau dans leurs différents quartiers. Urbain VIII Barberini (1568 / 1644) décida de magnifier l’arrivée de l’aqueduc dans Rome par une fontaine grandiose dont il demanda les plans à Bernini. Pour faire face à la dépense, le pape taxa fortement le vin ce qui fit dire à Pasquino « Per ricrear con l'acqua ogni romano / di tasse aggravò il vino papa Urbano » (Pour divertir chaque romain avec l'eau / de taxes le pape Urbain alourdit le vin).

 

Mais la fontaine ne fut pas réalisée et, un siècle plus tard, Clément XII Corsini (1652 / 1740) repris le projet et organisa, en 1730, un concours gagné par Nicola Salvi sur un dessin semble-t-il inspiré du Bernin. La fontaine fut inaugurée en 1762. Elle est accolée au palais Poli et se compose de trois corps formant un arc de triomphe majestueux et d’un soubassement reposant sur des blocs rocheux. Les niches de l’arc sont encadrées de colonnes colossales d’ordre corinthien supportant un attique imposant sur lequel sont placées les armes du pape Clément XII. La niche centrale contient une grande statue de Neptune, debout sur une conque traînée par des chevaux marins lesquels sont conduits par des tritons. Dans les niches latérales, rectangulaires et plus petites, sont représentées l’Abondance et la Salubrité. Elles sont surmontées de sculptures en relief représentant, l’une la jeune fille qui découvrit la source, l’autre le général Agrippa qui prit la décision de construire l’aqueduc qui alimente la fontaine. Les eaux jaillissent des rochers et tombent dans un grand bassin qui est curieusement situé plus bas que la place. Peut-on imaginer monument plus baroque que celui-ci, avec rocaille, chevaux ailés et tritons, bien qu’elle ait été construite un siècle après l’âge d’or du baroque ?

 

Remarquez le coin droit du palais Poli qui souligne le goût des rocailles et des ruines du XVIIIe siècle. Sur le chaos de (faux) rochers de la fontaine s’élève les pilastres colossaux d’une façade classique. Celui qui est le plus à droite est cassé, morcelé, à sa base, comme s’il était construit sur une ruine antérieure ou qu’il menaçait de d’effondrer lui-même (photo).

 

Comme chacun sait, il est de tradition de jeter une pièce dans la fontaine, dos à celle-ci, par le bras droit et par-dessus son épaule, pour s’assurer de revenir à Rome. La fontaine est arrêtée chaque matin, à sept heures, pour pouvoir collecter les six kilos journaliers de pièces de monnaie à l’aide d’un aspirateur digne du croc à phynances du Père Ubu [2]. Les préposés à l’aspirateur chantent-ils ?

 

« Vrai Roi tu l’es dans les Phynances

Quand te rapportent leurs Butins

Les Chiens à Bas de Laine Immenses

& les rigides Palotins » [3]

  •  

[1] Federico Fellini. « La dolce vita ». 1960.

[2] Le bénéfice de la récolte (1,5 million d'euros par an) était versé à Caritas. En 2017, la municipalité avait décidé de répartir la somme entre les associations de solidarité en fonction de leurs projets... En 2019, par convention bisannuelle, Caritas bénéficiera à nouveau de la somme. En août 2020, une barrière empêchait d’approcher du bassin ce qui est à nouveau possible en 2021 !

[3] Sous-Commission du Pape Marcel. « La Royauté du Père Ubu – Cantate populaire adaptée aux besoins des masses laborieuses ». Collège de Pataphysique. An LXXXVII. 

 

Liste des promenades dans Rome - Liste des articles sur la traversée de Rome par le Corso

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