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Notes d'Itinérances
5 février 2022

Emilie - Romagne (3/28). Les Due Torri et le rôle des ânes dans la richesse des Nations.

Les tours penchées de Bologne

 

 

« L’objet le plus visible est la tour degli Asinelli, droite et menue comme un cierge. (…) elle s’élève à perte de vue, et je crois bien pour le coup que c’est la plus haute tour, ou du moins l’une des plus hautes d’Europe. Son peu d’épaisseur contribue encore à la faire paraître plus élevée, et la tour Garisenda, sa voisine, à la faire paraître plus droite. Celle-ci, beaucoup plus grosse et moins haute des deux tiers, s’avise de se donner des petits airs penchés » [1].

 

Les Due Torri sont l’emblème de la ville de Bologne (photo). La plus haute, la Torre degli Asinelli, de 97,2 mètres, est la plus haute tour médiévale penchée au monde. Elle a été érigée entre 1109 et 1119 et fait partie des vingt tours qui ont traversé les siècles. Elle présente un déport de 2,2 m, avec une inclinaison de 1,3°. La forteresse qui entoure sa base est construite en 1488 pour abriter les soldats de garde, puis elle est occupée par des ateliers de martelage. La plus petite, la Torre Garisenda est haute de 48 m. Elle est fortement penchée et présente un déport de 3,2 m, avec une inclinaison de 3,8° [2]. À l'origine, elle mesure environ 60 m mais elle dû être tronquée au XIVe siècle à la suite d'un affaissement du terrain qui menaçait de la faire s'écrouler.

 

Au XIe et XIIe siècles, on estime qu’il existait au moins une centaine de tours à Bologne laquelle préfigurait alors Manhattan ! Construites par des familles bolonaises, elles avaient, peut-être, pour fonction de faire étalage de leur puissance ou une fonction militaire de défense contre des attaques armées de familles concurrentes. C’est que les États italiens étaient alors en pleine période de la « Querelle des Investitures » opposant le pape et l’empereur romain germanique : qui du pouvoir spirituel ou du pouvoir temporel devait avoir la prééminence sur l’autre ? Une « querelle » qui déboucha sur de nombreux conflits entre partisans du pape, les Guelfes, et les partisans de l’empereur, les Gibelins. Moins utiles ensuite, un grand nombre de ces tours sont finalement abattues au cours du XIIIe siècle, d'autres s'effondrent par suite de tassements de terrain ou de la foudre. Celles qui subsistent ont alors des usages différents : prisons, beffrois, entrepôts, habitations. Les dernières démolitions ont lieu au XXe siècle dans le cadre d'un plan d’urbanisme visant évidemment à « faciliter les circulations ». Vingt-quatre tours subsistent encore dans le centre-ville. Leur construction est faite en briques selon une technique comportant deux murs, un mur intérieur épais et un mur extérieur plus mince, la cavité les séparant étant progressivement remplie de pierre et d’un ciment de fortification composé d’un mélange de poix, de cire, de plâtre et de graisse.

 

Une légende attribue à deux ânes (« asino / asinelli ») la richesse qui permit la construction de la plus haute tour. Et cela ne serait que justice eu égard au rôle majeur qu’ils ont joué, et jouent encore, dans le développement rural : les ânes peuvent être montés, porter des charges lourdes en regard de leur taille ou tirer une charrette, ils peuvent trotter assez vite, ils manifestent une grande patience et beaucoup de sobriété. Bref, selon cette légende, un pauvre paysan était aidé dans ses travaux des champs par deux ânes. Un jour, les deux ânes se mirent à donner des coups de pied et à creuser le sol faisant apparaitre une malle qui se révéla pleine de pièces d'or et d'argent et de pierres précieuses. Le fermier baptisa ce trésor « il tesoro degli asinelli » (le trésor des ânes). Prudent et habitué à l’économie et à la rigueur, le paysan ne dit rien de sa découverte, même s’il donnait un peu plus d'argent que de coutume pour acheter ce dont la famille avait besoin et il fit faire à son fils de solides études avec les meilleurs professeurs de l’université de Bologne. Confronté à d’autres classes sociales, le jeune homme tomba amoureux d'une jeune fille qui appartenait à l'une des familles les plus riches de la ville. Si le sentiment amoureux était partagé par la jeune fille, son père s’opposa évidemment à une union aussi dégradante pour sa famille même s’il reconnaissait que le jeune homme avait de grandes qualités personnelles. Il déclara que le mariage aurait lieu quand le jeune homme aurait fait construire la plus haute tour de la ville ! Le paysan offrit alors à son fils le reste du trésor et, dix ans plus tard, les deux tourtereaux purent se marier... Je me plais à penser que cette légende rappelle, sous une forme symbolique, combien les ânes ont, eux aussi, contribué à « la richesse des Nations » [3] !

 


[1] Président De Brosse. « Lettres d’Italie ». 1740

[2] L'inclinaison de la tour de Pise est de 4,19° en 2008 après avoir atteint 5,6° en 1993.

[3] Adam Smith. « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». 1776.

 

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