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Notes d'Itinérances
27 février 2022

Emilie - Romagne (14/28). Ferrare - Esthètes et assassins au château d’Este.

Les deux faces d’un même pouvoir

 

 

« Le palais des ducs, où demeure le légat est un gros bâtiment composé de hautes tours carrées environnées d’un fossé plein d’eau, quoique situé au milieu de la ville. La cour est peinte à fresques presque effacées. C’est là qu’une compagnie d’arlequins, c’est-à-dire les soldats du pape, vêtus de vert, jaune et rouge de toutes pièces montent la garde » [1].

 

En 1385, les habitants de Ferrare, ruinés par les impôts, épuisés par la famine et la faim, se soulèvent contre leur suzerain, massacrant le responsable des octrois. Niccolò II d’Este, marquis de Ferrara, décide en conséquence de construire un puissant château pour assurer sa défense et celle de sa famille.

 

L’architecte, Bartolino de Novare, s’inspire d’une ancienne tour de guet (la tour des Lions) insérée le long des murs défensifs qui délimitaient la ville au nord. Cette tour était de plan carré, construite en brique, avec une seule pièce par étage, la base des murs en pente, les créneaux placés directement sur les murs d'enceinte, les toits en tuiles, à quatre pans. Il érige trois autres tours semblables et les réunit avec des murs imposants. La forteresse est entourée d’un fossé défensif alimenté par un canal relié au Pô. Ce sont Ercole II (Hercule II), puis Alphonso II d’Este, qui donnent au château son aspect actuel après un incendie en 1554, puis un tremblement de terre en 1570, lesquels endommagent la structure d’origine. Les tours et les courtines sont surélevées d’un étage, des édicules érigés sur les toits-terrasses des tours, les créneaux sont supprimés et remplacés par d’élégantes balustrades, une loggia sur un toit-terrasse est créée.

 

Au XVIe siècle, les ducs d’Este font décorer avec somptuosité et raffinement les différentes salles de l'étage noble du palais. Les fresques représentent des allégories (l’Aurore, le Jour, le Crépuscule, la Nuit…), des symboles (les signes du zodiaque, des blasons…), des scènes inspirées de la mythologie (des jeux, des luttes, Hector et Andromaque, le dieu Pan…) et des grotesques [2].

 

Les Ducs d'Este mêlent à cet incomparable raffinement une incroyable cruauté et une grande barbarie. En 1425, Niccolò III d’Este (1393 / 1441) surprenant sa femme, Parisina Malatesta, et son fils d’un premier lit, Hugo, tendrement enlacés, il ordonne leur incarcération dans une des tours du château puis leur décapitation. Dans sa lutte pour la succession de son frère, Ercole Ier d’Este (1431 / 1505) assassine son neveu Niccolò et les membres de sa famille. 

 

Les demi-frères, Giulio d’Este et le cardinal Ippolito d’Este, étaient tous deux tombés amoureux d’Angelica Borgia, une belle jeune fille, demoiselle de compagnie de Lucrèce Borgia. Angelica ayant eu l’imprudence de déclarer que les yeux de Giulio valaient mieux que toute la personne du cardinal, Ippolito fit crever les yeux de son rival. Ayant survécu et n’ayant perdu l’usage que d’un œil, Giulio complota avec un autre de ses demi-frères, Ferrante d’Este, contre le cardinal Ippolito et le duc Alfonso Ier d’Este (1476 / 1534). La conjuration ayant échoué, Giulio et Ferrante sont emprisonnés, en 1506 ; Ferrante meurt en captivité au bout de 34 ans, alors que Giulio est gracié par Alfonso II en 1559 : il était alors âgé de 81 ans.

 

Sans compter que les sous-fifres dans ces luttes intestines pour le pouvoir ont souvent payé un bien plus fort tribut que leurs maîtres. Les partisans de Niccolò d’Este sont décapités ou écartelés sur la place publique, un des assassins à la solde d’Ercole se trahissant, est écartelé et son corps laissé aux chiens. Un des complices de Giulio et Ferrante est suspendu dans une cage aux portes du palais jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il ne faisait alors pas bon être mêlé aux petites querelles familiales !

 

Après le départ des ducs d’Este, le château est le siège des vice-légats, ou gouverneurs papaux de la ville, qui administrent le territoire pour quatre ans. Après l’unification de l’Italie le château est acheté par l’administration provinciale. 

 


[1] Président De Brosse. « Lettres d’Italie ». 1740.

[2] Les grotesques sont des dessins inspirés des décorations fantastiques découvertes vers 1480 dans les ruines enterrées de la Domus Aurea de Néron

 

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