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Notes d'Itinérances
17 novembre 2022

Romaines ! (5/25). Jeanne (IXe siècle).

Rione Celio / via dei querceti

 

 

Derrière l’abside de l’église des Quattro Santi Coronati, au croisement des via dei Santi Quattro et dei querceti (rue des chênes… aux temps lointains où le Celio était recouvert d’une forêt), à l’un des coins de la rue, il y a une petite chapelle, en avancée sur la chaussée, fermée par un portail en fer dont la partie haute est ajourée. Sur le mur du fond est dessinée une vierge à l’enfant qui pourrait dater du XVe siècle. Ce serait l’une des plus anciennes madonelles de Rome. 

 

Outre son ancienneté et sa situation à l’intérieur d’une petite chapelle, cette madonelle présente un autre intérêt. Selon la légende, c’est à cet endroit que la papesse Jeanne aurait donné naissance à un fils ! L’existence d’une femme qui serait devenue pape traverse toute l’Histoire [1]. Cette légende est racontée dès le moyen-âge, notamment à Metz, par un dominicain nommé Jean de Mailly. Entre 1250 et 1550, une centaine de versions de cet évènement serait recensée dans des ouvrages variés. Après 1550, avec l'essor de l'imprimerie et les controverses liées à la Réforme protestante, plus de cent ouvrages auraient été consacrés uniquement à l'existence réelle ou supposée de cette prétendue papesse.

 

Selon une des versions de la légende, vers 850, une jeune fille originaire de Mayence, mais d’origine anglaise (!), nommée Jeanne, réussit à faire partie du clergé en se faisant passer pour un homme. Remarquée par sa piété et son érudition, elle gravit les échelons de la hiérarchie catholique, jusqu’à être nommée cardinal puis élue pape. Son « pontificat » est généralement placé vers 855 et 858, c'est-à-dire entre celui de Léon IV (847 ? / 855 ?) et Benoît III (855 ? / 858 ?), au moment de la nomination d’un anti-pape par le parti impérial, Anastase. La chronologie des papes semble un peu floue et l’existence des différents personnages peu assurée. Mais l’histoire se termine au croisement des rues dei Santi Quattro et dei querceti. En se rendant de la basilique de San Giovani in Laterano à la basilique Saint-Pierre, la jeune femme, prise de douleurs, aurait accouché d’un fils ! Découvrant la supercherie, la mère et l’enfant auraient été mis à mort par la foule. La petite chapelle et sa madonelle participeraient ainsi à purifier un lieu où se seraient passés des évènements scandaleux, une supercherie impie et un assassinat.

 

Cette histoire (une « fake news » d’antan ?), dont l’authenticité n’était pas mise en cause au moyen-âge, a été utilisée comme argument dans les débats sur la monarchie pontificale, la légitimité de la Curie ou la primauté romaine dans l’église chrétienne ! Reprise régulièrement au cours des siècles, il sera finalement démontré que cette histoire est fausse, et que la fameuse papesse Jeanne n’a jamais existé. 

 

Cette légende, dans laquelle une femme aurait pu être élue pape, fonction strictement masculine, a enfanté une autre légende, celle d’un contrôle manuel des organes génitaux des papes au cours d’un rituel de vérification après leur élection. Le souverain pontife, nouvellement élu, aurait été obligé de s'assoir sur une chaise trouée en son centre. Sous le contrôle des cardinaux, un ecclésiastique devait passer alors sa main sous le siège du Saint-Père afin de vérifier l'état de ses parties génitales. Il s'agit évidemment d'une légende basée sur le fait que les sièges utilisés lors des cérémonies étaient des chaises curules, une sorte de tabouret formé par deux pieds entrecroisés entre lesquels est tendu un tissu, ou inséré un coussin. C’est un modèle de siège remontant à l'Antiquité et qui constituait alors un symbole du pouvoir et qui était donc réservé aux plus hauts magistrats.

 

Les explications de la légende de la papesse Jeanne sont diverses. Elles pourraient être liées au surnom donné de son vivant au pape Jean VIII (872 / 882) du fait de sa faiblesse supposée face à l'église de Constantinople en essayant d’éviter le schisme entre Chrétiens d’Orient et d’Occident. Ou bien, le surnom de « papesse Jeanne » aurait été donné à la mère, autoritaire et puissante, du pape Jean XI (931 / 936). Enfin, l’inversion des rôles (homme / femme, seigneur / valet, ecclésiastique / laïc, était une pratique courante au moyen-âge au moment du carnaval.

 


[1] Boureau Alain. « La papesse Jeanne. Formes et fonctions d'une légende au Moyen Âge ». In « Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ». N°3. 1984.

Boccace. « Jeanne, pape anglais ». In « Des dames illustres », chapitre 10. 1353.

 

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