Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Notes d'Itinérances
27 mai 2023

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (62/69). Yasmine-Hammamet.

D’un tourisme d’artistes à un tourisme de masse

 

 

Hammamet est une petite ville, au sud du Cap Bon, à une soixantaine de kilomètres de Tunis. C’était une colonie romaine importante dont les ruines sont aujourd’hui situées sous les grands hôtels qui ont envahi la côte. Une petite agglomération s’est développée autour d’un ribat du VIIIe / IXe siècle. Au XXe siècle, le village de pécheurs est fréquenté par des artistes et écrivains qui apprécient sa lumière, sa luminosité et la douceur de son climat hivernal, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, André Gide, Oscar Wilde, Paul Klee. En 1929, un milliardaire roumain, Georges Sebastian, découvre Hammamet et s'y fait construire une villa « mauresque » dans un vaste jardin méditerranéen qui domine la mer, et où il invite ses amis. Toute blanche, décorée d’arcs outrepassés, construite autour d’une cour intérieure entourée d’arcades, c’est un espace de calme et de fraicheur. Vendue à l'État tunisien en 1962, la villa devient un centre culturel international dédié à l’accueil d’artistes, la réalisation d’expositions, de conférences et de rencontres. Dans son magnifique parc, l'architecte Paul Chemetov a construit un théâtre en plein-air qui accueille, en été, un festival international lequel est consacré à la promotion de la culture tunisienne. L’ensemble apparait aujourd’hui un peu négligé, en sommeil, la végétation indisciplinée, le bar oublié autour de la piscine, ce qui n’est toutefois pas sans un certain charme par son côté tranquille, hors du temps, loin de l’agitation trépidante de la ville. 

 

C’est aussi le cas des petits souks qui entourent la citadelle, où l’agitation commerciale semble atone ce dont les commerçants se désolent. En avril 2023, le client se fait manifestement rare.

 

Cet attrait pour Hammamet avait participé à développer son tourisme puis la réalisation, dans les années 90, d’un vaste projet d’infrastructure touristique dite « intégrée » au sud de la ville, Yasmine-Hammamet. Développée par un promoteur italien Marinvest puis, après sa défaillance, par la Société d'études et de développement d'Hammamet-Sud, la station s'étale sur 277 ha sur un front de mer de quatre kilomètres. Le projet prévoyait d’offrir une capacité de 24 000 lits, dont 14 000 en hôtels internationaux et 10 000 en appartements pour la promotion d’un tourisme résidentiel national. Le projet était novateur dans les pratiques politiques tunisiennes d’’aménagement des stations touristiques [1] : plutôt que d’être l’opérateur et l’aménageur, l’État avait laissé la réalisation du projet à des opérateurs privés, nationaux et étrangers, à la fois par manque de ressources financières mais aussi pour répondre aux injonctions du « moins d’État » des institutions financières internationales dont le Fonds Monétaire International. L’État se positionnant dans un rôle de régulation pour assurer l’existence de services, d’équipements, la qualité de l’urbanisme et de l’insertion dans l’environnement, la préservation des écosystèmes. Dans les déclarations, c’était attrayant…

 

Yasmine Hammamet réunirait aujourd’hui 44 hôtels (dont 85% auraient rouverts après la pandémie), soit 19 000 lits (80 % en 5 et 4 étoiles) et 11 000 lits en villas et appartements (soit 30 000 lits pour 24 000 dans le projet). Outre une Marina de 719 places (149 à l’origine), elle comprend une reproduction, en vrai-faux, d’une médina, de ses souks et de ses remparts ! Malgré les objectifs généreux affichés, le projet totalement parachuté, résulte de l’initiative de promoteurs privés aux objectifs commerciaux [2]. L'insuffisante prise en compte des questions environnementales a conduit à la bétonnisation des espaces littoraux et à la dégradation des écosystèmes naturels : érosion des plages, destruction des dunes bordières, pollution marine, urbanisation littorale par des hôtels-blocs, privatisation du front de mer et limitation des accès publics aux plages [3]. La station, conçue au début pour un tourisme « de luxe », est devenue une zone d’hôtels internationaux en formule « Tout-compris » pour 90% d’entre eux et la première station tunisienne dans le tourisme national.

 


[1] Mohamed Hellal. « La marina de la station touristique intégrée Yasmine-Hammamet (Tunisie). Enjeux, conception et impacts ». In « L'Information géographique ». N°4. 2009.

[2] La dérive du projet n’est peut-être pas innocente… la famille de l’ancien président Ben Ali s’étant fortement intéressée au développement d’Hammamet. En 2011, leur ont été confisqués : 13 résidences de luxe, 110 villas, 8 immeubles et 141 appartements, 228 terrains à bâtir, dont 60 biens situés à Nabeul et Hammamet.

[3] Kamel Bouaouina. « L'affrontement entre planification touristique et planification urbaine ». In « Le Temps ». 31/05/2013.

 

Liste des articles sur Chroniques tunisiennes 1975 / 2023

Télécharger le document intégral

Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 989 642