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Notes d'Itinérances
30 juin 2013

Inde du Sud (20/31). L'impermanence des choses et des êtres vivants.

Un veau honoré et un lépreux réduit à mendier - Des logiques sociétales opposées

 

 

« Magnificences et ordures, mélange d’un luxe de Titans et d’une incurie barbare. Les guirlandes en roseaux et en feuilles de bananier découpées, que l’on a tendues autrefois pour des fêtes, d’une colonne à l’autre, s’émiettent en terre, en décomposition humide. Les accessoires des processions, animaux fantastiques, éléphants de taille naturelle, en papier et en pâte, pourrissent ça et là, effondrés dans des recoins. Les vaches sacrées, les éléphants réels qui se promènent en liberté dans les nefs, ont semé partout leur fiente, sur le pavage glissant et gras, lustré par des pieds nus » [1].

 

Comme Pierre Loti, l’Européen reste étonné par le laisser-aller qui semble prévaloir en Inde dans les temples comme dans les rues, mais aussi dans les priorités d’action. A l’entrée du temple de Kalaishanatha, à Kanchipuram, sont placés côté à côte, un lépreux sous un parapluie qui mendie en exhibant ses mains aux doigts manquants, et un veau qui sommeille et à qui un dévot a passé au cou une couronne de fleurs !

 

Cette confrontation brutale semble signifier que le plus important c’est le veau, symbole de Nandi, la monture de Shiva, pas l’homme malade, atteint de la lèpre, qui paye certainement ainsi les erreurs qu’il aura commises dans une vie antérieure.

 

Lors de la visite de ces magnifiques temples anciens, résultat d’efforts aussi fantastiques pour les construire, il est étonnant de constater qu’ils sont relativement mal entretenus, parfois rafistolés de manière grossière. On est consterné aussi par la pollution des paysages avec les déchets ménagers qui s’éparpillent partout.

 

Il n’y a certes pas de leçon à donner car, si nous nous reportons à quelques dizaines d’années en arrière, disons deux siècles, la situation des monuments français, y compris des grands sites religieux, n’était pas plus favorable. Il suffit de se souvenir des combats engagés par Prosper Mérimée, nommé inspecteur général des Monuments historiques en 1834, qui s’attacha à sauver la basilique de Vézelay (1840) ou la Cathédrale Notre-Dame de Paris (1843). Qu’en serait-il resté si, progressivement, notre regard vis-à-vis des monuments anciens n’avait pas changé ? Si, progressivement notre conception de la société, du temps et de notre position n’avait pas évolué ?

 

C’est que nous ne sommes plus, nous ne sommes pas, dans les mêmes logiques (sans aucunement prétendre que l’une soit meilleure que l’autre). Dans les sociétés contemporaines occidentales, les dégradations, la déchéance, la maladie, la disparition, la mort, nous sont insupportables. Nous utilisons beaucoup de temps et d’énergie à essayer de lutter contre l’impermanence des choses et des êtres vivants : restauration des monuments, conservation des objets et œuvres d’art, système de santé, soins esthétiques, activités physiques…

 

 « Ce qui sépare l’Orient de l’Occident, ce ne sont pas les vêtements, ni les machines, ni les maisons, ni les meubles, ni les usines, ni les formes de gouvernement, ni les prophètes ! Tout cela n’est que conséquences. Ce qui nous sépare d’eux, c’est un tout petit fait, très simple. Eux ont pu percevoir le néant, le gouffre sans fond que l’on appelle la mort » [2].

 

L’hindouisme affirme à contrario que tout est constamment changeant, tout est flux, rien n'est figé une fois pour toutes. La disparition, la dispersion, la désintégration sont la loi. Tout ce qui est né doit mourir ; tout ce qui existe doit cesser d’exister, mais toute mort est une promesse d’une nouvelle naissance. La mort n’est pas une fin, mais la possibilité d’une nouvelle vie.

 

Cette vision du monde peut expliquer, au moins partiellement, un certain détachement des Indiens vis-à-vis des objets matériels, des personnes, de la société. Partiellement seulement, car dans toutes sociétés en développement, non hindouiste et non bouddhiste, on retrouve cet apparent désintérêt vis-à-vis de l’entretien des biens communs, monuments, environnement. C’est qu’il s’agit avant tout, pour les individus d’un groupe familial ou clanique, de survivre, coûte que coûte.

 


[1] Pierre Loti. « L’Inde (sans les Anglais) ». 1903.

[2] Ohran Pamuk. « La maison du silence ». 1983.

 

 
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