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Notes d'Itinérances
11 janvier 2014

URSS 1988 (25/28). Le développement se mesure-t-il par le nombre des troquets ?

 Un désespérant désert de bistrots – Puissance mondiale et sous-développement

 

 

 

 

[1]           Les guides touristiques citent les noms de célèbres restaurants et bars moscovites :

 

« C’est une des distractions préférées des Soviétiques qui y passent la soirée en dînant et dansant »[2].

 

Chouette ! Mais à se promener dans la ville, on ne voit rien de tel. Pas le moindre café, pas la plus petite terrasse, rien qui ressemble de près ou de loin à un bar, une brasserie, une buvette, un estaminet, pas même un pub, Pas plus d’ailleurs que de restaurant, de cafétéria, de taverne, d’auberge ou de buffet !

 

Pas de bistrot [3] ? Pas de troquet ? Pas de bouchon, de comptoir, de zinc ? Comment font-ils pour boire un coup, les Russkoffs ? Et pourtant ils ont plutôt la réputation de l’avoir en pente, la dalle…

 

Prenant conscience de cette cruelle absence, notre foi déjà branlante dans la suprématie du socialisme soviétique s’effondre. Adeptes du secteur public, nous en appelons néanmoins à l’indispensable initiative privée pour créer, à Moscou, un bar digne de ce nom, avec terrasse et parasols, où l’on puisse prendre un express, une bière, un Perrier-citron, et même – soyons fou – un Coca-Cola, en regardant la ville, observant les passants et discutant entre amis.

 

Tiens, si nous avions un petit capital à investir, nous sommes sûrs de faire, non seulement de l’or, mais aussi œuvre de charité publique pour ces pauvres moscovites et ces encore plus misérables touristes des pays capitalistes qui sont dans l’incapacité de s’asseoir, de se reposer tout en se désaltérant et en observant leurs semblables.

 

Avenue Kalinine, nous finissons par repérer le fameux restaurant « Arbat », mais celui-ci est plein comme un œuf. Evidemment, ce qui est rare est surpeuplé. Je comprends mieux la recommandation du guide de France-URSS concernant les restaurants : « Le plus sûr pour trouver de la place est de réserver au Bureau central des excursions, 1 rue Gorki ». Etrange quand même de devoir passer par une agence de voyage pour avoir une place dans un restaurant ! Je devais oublier la nécessaire et incontournable planification centralisée.

 

Après avoir tourné dans le centre-ville, nous finissons par dénicher une gargote, rue de l’Arbat. Gargote, c’est bien le mot. Une petite boutique qui ne paye pas de mine, avec une triste vitrine où flamboient les lettres magiques sur fond rouge : « Coca-Cola ». A l’intérieur, cela tient davantage de la petite épicerie avec un maigre comptoir de formica, un réfrigérateur et un congélateur pour la vente de glaces en petits pots. Pas de siège, seules quelques tables hautes pour y manger. Y manger quoi d’ailleurs ? Mais enfin, on peut au moins se désaltérer d’un coca, il n’y a que ça.

 

Un coca ! Venir à Moscou pour boire un coca ! Quelle déchéance !

 

L’ensemble apparait d’une propreté douteuse et le comptoir colle aux mains. Une babouchka, engoncée dans des vêtements qui la transforment en petit tonneau, est en train de traîner des lambeaux d’une serpillière grisâtre sur le sol. Les normes du plan devant prévoir de nettoyer également la vitre de la porte d’entrée, elle la badigeonne de ses morceaux de serpillière laissant sur la vitre de grandes traînées d’eau boueuse.

 

D’un coup d’un seul, nous ne sommes plus en plein cœur de Moscou, la capitale de l’Union soviétique, la seconde puissance mondiale, le pays des superlatifs et des « Monsieur Plus », mais dans n’importe quel pays sous-développé. A côté d’un secteur moderne, assez voisin de ce que nous pouvons connaître en Europe occidentale, une large partie de ce pays apparaît être encore d’un autre âge, à l’image de ce troquet minable et de sa Babouchka nettoyant les vitres de ses lambeaux de serpillière crasseuse.

 


[1] Binet. « Les Bidochon en voyage organisé ». 1984.

[2] Association France-URSS. « URSS - Conseils pratiques ».

[3] L’absence en est d’autant plus choquante que, pour certains, le terme bistrot (ou bistro) dériverait du russe « bistro » signifiant « vite », une appellation qui daterait de l’occupation russe de 1814 !

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