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Notes d'Itinérances
5 mai 2016

Luanda, la perle de l'Afrique (3/26). Reprise de contact avec Luanda.

Une misère effrayante – Mais aussi un luxe insolent

 

 

 

« Lua est le diminutif affectueux avec lequel nous autres, Luandais, appelons notre ville. Je le trouve particulièrement approprié. Luanda partage avec la lune – Lua – la même désolation aride et sauvage, la même poussière suffocante. Pourtant comme la Lune, vue de nuit et de loin, elle semble belle. Illuminée, elle séduit. En outre, sa lumière a le pouvoir étrange de transformer les hommes simples en loups féroces » [1].

 

C’est un peu comme un retour à la maison, comme si j’avais quitté Luanda la veille, tant les souvenirs de mes précédents voyages restent marqués dans ma mémoire : paysages urbains mêlant modernité et archaïsme, odeur de terre chaude humide à la descente de l’avion, ou situations particulières comme cette cérémonie de la présentation des papiers d’identité au gendarme situé à l’entrée de l’ambassade, locaux déserts du ministère de l’Education... comme si j’étais déjà ici hier. Et pourtant, cette maison là n’est pas plus attrayante qu’elle ne l’était il y a trois, quatre ou cinq ans.

 

Peu de choses changent, rues sales couvertes de débris de plastique, de ferrailles qui croupissent dans des remugles d’huiles de vidange, d’eau et d’urine, lanières noirâtres d’anciens drapeaux ou de banderoles qui pendent des réverbères, façades traversées de traînées brunâtres aux ouvertures noires comme de vieux chicots, murs de pignon des immeubles atteints de furonculose avec des poussées irrégulières de moteurs de climatisatiseurs, quelques arbres chétifs  dans les avenues s’agrippent à la vie malgré les agressions répétées des voitures et des passants, beaucoup de paraboles sur les toits, et de temps en temps mais rarement, un magnifique petit restaurant tout pimpant, peint de frais, avec de jolies grilles ouvragées, des stores, une terrasse avec tables et chaises de jardin. Le tank posé au sommet de son socle de pierre taillée de la place Kinaxixi a disparu, signe d’une détente peut-être, mais ce n’est toujours pas la paix.

 

En centre-ville, c’est le même peuple bigarré, enfants sans chaussures, jolies filles à la poitrine provocante, mutilés de guerre qui mendient, petites vendeuses de bougies, de savon, qui portent sur le dos une caisse en carton comme on porte ici les enfants dans un grand châle noué sur la poitrine, femmes portant sur la tête plusieurs étages superposés de plaques d’œufs. Des groupes d’adolescents vous proposent des montres, d’abominables chromos peints sur glace, des horloges dégoulinantes de plastique doré. La ville est grouillante de vie, « banquières » aux coins de rues qui agitent leurs paquets de kwanzas pour faire l’échange contre des dollars, petits cireurs de chaussures assis sur des boites de conserve qui nettoient les souliers dans un nuage de poussière, vendeurs d’une chemise ou de deux paquets de chewing-gum, nuées d’enfants autour des automobiles à l’arrêt. De pauvres hères fouillent dans des containers-poubelles à la crasse innommable à la recherche de quelques éléments qu’ils pourraient manger, rogner un os, pelures de légumes. Dans le même temps de gros 4X4 sillonnent l’avenue d’où descendent de belles femmes et des managers modernes, téléphone portable à la main.

 

Le plus étonnant est que, dans ce contraste entre extrême pauvreté et richesse insolente, les pauvres ne se révoltent pas et qu’ils ne cassent pas un de ces beaux joujoux de voiture. Non, ils passent, ils admirent, ils rêvent ou ils sont indifférents, ne pensant peut-être seulement qu’à assurer leur prochain repas. Etait-ce bien la peine d’avoir mis en place et défendu un régime « socialiste » si aujourd’hui personne ne se révolte contre la misère atroce des hommes ? On pourrait certes en dire autant de la Russie ; 70 ans de « socialisme » et de direction « communiste » n’ont même pas laissé cette trace dans la mémoire collective ! Tout simplement, il faut certainement manger tous les jours un minimum à sa faim pour pouvoir se révolter.

 

« Nous sommes incroyablement riches. Nous produisons la moitié des diamants vendus dans le monde. Nous avons de l’or, du cuivre, des minerais rares, des forêts à exploiter et de l’eau en quantité. Nous mourons de faim, du paludisme, du choléra, de diarrhée, de la maladie du sommeil, de virus venus du futur, pour certains, et, pour d’autres, d’un passé sans nom » [2].

 


[1] José Eduardo Agualusa. « Barroco tropical ». 2011 (note de 2015).

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