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Notes d'Itinérances
13 juillet 2018

Iran - Visiter l'Iran (1/15). Des représentations pleines de contradictions.

Pays sous-développé et puissance régionale ? Perses et arabes ? Chiites et sunnites ? Démocratie et théocratie ?

 

 

« Qui veut venir avec moi voir apparaitre, dans sa triste oasis, au milieu de ses champs de pavots blancs et de ses jardins de roses, la vieille ville de ruines et de mystère, avec tous ses dômes bleus, tous ses minarets bleus d’un inaltérable email ; qui veut venir avec moi voir Ispahan sous le beau ciel de mai, se prépare à de longues marches, au brûlant soleil, dans le vent âpre et froid des altitudes extrêmes, à travers ces plateaux d’Asie, les plus élevés et les plus vastes du monde, qui furent le berceau des humanités, mais sont devenus aujourd’hui des déserts » [1].

 

Voilà une première image, contradictoire et décalée, qu’un voyageur français peut avoir de l’Iran s’il a lu ses classiques : celui d’un orientalisme matinée de romantisme d’une grande civilisation en déclin. Si Pierre Loti force peut-être un peu le trait, il est passé depuis de l’eau sous les ponts (même à Ispahan !). L’exploitation du pétrole et l’augmentation de son prix pouvaient faire espérer au Shah d’Iran, en 1973, que son pays deviendrait la 5e puissance mondiale et la Suisse du Moyen-Orient ! Malgré la révolution de 1979 et l’instabilité postrévolutionnaire, les huit ans de la guerre Iran / Irak de 1980 à 1988 et ses 400 000 morts côté iranien, les sanctions américaines contre l’Iran (gel des avoirs iraniens en 1979, embargo sur les armes en 1984, embargo sur les échanges commerciaux en 1995, renforcement des sanctions en 2013) puis les sanctions internationales en 2012, une autre image de l’Iran dans les médias internationaux et les discours du président américain, Donald Trump, s’impose progressivement. Celle d’une puissance régionale, économique et militaire, intervenant partout au Moyen-Orient, et désormais capable de produire des ogives nucléaires et des missiles balistiques qui menaceraient les États-Unis. Alors, l’Iran, pays sous-développé ou puissance régionale ?

 

Ce n’est évidemment pas la seule contradiction sur la représentation que nous avons de l’Iran. Une autre, assez commune, est de confondre Iran, Irak, pays du golfe et certainement d’autres pays de la région. Tout ce pataquès du Moyen-Orient dans lequel l’électeur moyen ne comprend pas grand-chose ! C’est évidemment oublier, ou plus généralement ne pas connaître, l’histoire des civilisations dans cette région du monde. Au mieux, se souvient-on des Perses qui menacèrent Athènes mais furent battus à Marathon en 490 avant JC, ou des exploits d’Alexandre le Grand contre Darius. Mais la grandeur de la civilisation perse est généralement méconnue et, il faut bien l’avouer avec la plus grande honte, le commun des Français confond le plus souvent Perses et Arabes ! Confusion d’autant plus courante que tous ces gens-là sont musulmans et que, depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers, « on » a un peu tendance à tous les mettre dans le même panier selon la formule : musulmans = arabes. 

 

Heureusement, de fins analystes nous démontrent à longueur d’antenne qu’il y a musulmans et musulmans sans jamais parler d’ailleurs de ceux qui sont laïcs ou indifférents. Non, ils sont tous intégristes, mais sunnites ou chiites, même si la différence entre ces deux branches de l’Islam relève pour la très grande majorité des Français du sexe des Anges. Mais au moins, cela permet de faire comprendre que les Iraniens ne sont pas des Irakiens ou des Saoudiens, car ils sont chiites contrairement aux autres qui sont sunnites ! Une fois la distinction faite (encore que tous les Iraniens ne sont pas chiites et qu’il existe des chiites ailleurs y compris chez les Arabes), ça se complique et on n’est généralement pas beaucoup plus avancé. Mais cela introduit une nouvelle représentation contradictoire sur l’Iran : l’existence d’un pouvoir théocratique moyenâgeux dans un pays moderne ! Le port du voile obligatoire, les longs manteaux noirs dont les femmes doivent s’affubler, l’existence d’une police des mœurs, la peine de lapidation, toutes choses qui renvoient aux pires images de l’histoire de l’Humanité. Si un voyage en Iran démontre assez facilement que ce pays ne manque pas de contradictions (il en est même assez riche), elles ne sont pas nécessairement situées tout à fait là où nous les attendons. Cela mérite donc un peu d’attention…[2]

 


[1] Pierre Loti. « Vers Ispahan ». 1904.

[2] Claudio Magris. « L’eau et le désert ». In « Trois Orients ». 2005.

 

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