Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Notes d'Itinérances
17 novembre 2018

Tchéquie - Prague / Matička (9/25). Une histoire pragoise.

La réalité de la vie à Prague avant la révolution de velours

 

 

L’été 1990, nous avons rencontré Jiřì et sa famille. Ils habitent un petit appartement dans une cité composée d’immeubles coquets contrastant avec les grands ensembles gris, ternes, et mal entretenus de la périphérie de la ville. Il s’agit d’une cité de type « Castor » dans laquelle les habitants ont participé à la réalisation du gros œuvre comme des aménagements intérieurs. Cette solution permettait d’avoir un logement plus rapidement et de meilleure qualité. Comme nombre de Pragois, Jiřì possède aussi une petite maison de campagne dans la région d’où il est originaire, Tábor. Ces résidences secondaires, un cabanon le plus souvent, avec peu de confort, ont d’ailleurs certainement joué un grand rôle politique. Les Pragois auraient-ils pu supporter aussi longtemps un régime aussi mesquin, dérisoire, revanchard, des salaires aussi faibles, des conditions de logement si médiocres, un environnement si dégradé, s’ils n’avaient eu leur petite maisonnette pour s’enfuir, se libérer, faire quelques légumes, se promener, enfin, entrouvrir le carcan dans lequel leurs dirigeants les enfermaient plus solidement encore que l’empire austro-hongrois ?

 

Nous correspondions avec Jiřì depuis deux ans suite à une petite annonce qu’il avait passée dans le quotidien « l’Humanité » pour rechercher un correspondant français. Son histoire personnelle est assez représentative de l’histoire récente de la Tchécoslovaquie. En 1988, Jiřì est un jeune technicien en électrotechnique qui travaille comme cadre commercial dans une société nouvelle, anonyme, mais à capitaux d’Etat. Sa femme est professeure de couture dans une Maison de la Culture. Jiřì a néanmoins un peu voyagé. Pendant la durée de son service militaire, il a effectué des missions civiles en Ethiopie et dans le sud algérien. 

 

Par la suite, apprécié par ses supérieurs, il lui a été proposé une promotion dans un service de son entreprise chargé de l’exportation du matériel électrique. Mais, pour obtenir ce poste à responsabilités, susceptible de lui permettre de sortir à l’étranger, il lui fallait d’abord adhérer au Parti Communiste. L’un n’allait pas sans l’autre. Comme la chose était courante, habituelle, qu’elle faisait partie des mœurs, Jiřì avait finalement adhéré au Parti, sans grande conviction peut-être, mais néanmoins sans difficulté, car il partageait les grands principes moraux du socialisme. Cela lui avait permis d’aller deux fois en France, en représentation commerciale. Une fois membre du parti, il semble que les choses se soient un peu compliquées car, dans ses courriers, Jiřì est alors sévère dans ses appréciations sur la manière dont fonctionnait le Parti : favoritisme, clientélisme, bureaucratie, gabegie. Toujours est-il qu’à la suite d’une nouvelle période militaire au titre de la réserve, il est licencié au printemps 89 et dans l’impossibilité de trouver un autre emploi dans sa spécialité. 

 

Pendant plusieurs mois, Jiřì livre des barriques de bière dans les bars de Prague, distribuant chaque jour 120 à 150 fûts de « Pilzen Urquel ». C’est alors une situation qui ne surprend personne à Prague. Par suite des purges faites dans le Parti après les évènements de 68, d’anciens chirurgiens sont laveurs de carreaux et des scientifiques livreurs. Ces épurations représentaient alors près d’un demi-million de personnes ! Etrangement, dans ce nouveau poste, exigeant surtout de la force physique, chaque barrique faisant dans les 130 kilos, Jiřì gagne deux fois plus que dans son emploi de cadre commercial, non pas que le salaire de base soit plus élevé, mais les pourboires sont nombreux et constituent une source importante de revenus.

 

« Cela fait bien longtemps que le dieu du rire et des chants
a refermé l’éternité derrière lui.
Depuis lors seul de temps à autre
Résonne en nous un souvenir mourant.
Et dès lors seule la douleur
Jamais n’arrive à grandeur d’homme.
Elle est toujours plus grande que lui,
Et pourtant il lui faut entrer dans son cœur » [1].

 


[1] Vladimίr Holan. « Et dès lors la douleur ». Douleur. 1965.

 

Liste des articles sur Prague

Télécharger le document intégral

Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 989 802
Promenades dans Rome