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Notes d'Itinérances
26 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (26/69). Voyager dans la nuit du changement d’heure.

Que se passe-t-il quand l’heure comprise entre 2 et 3 heures du matin disparaît ?

 

 

Après plusieurs années de coopération avec un institut tunisien, son directeur a aimablement proposé d’organiser un voyage d’étude en Tunisie pour les collaborateurs français. De Montpellier, pour rallier très tôt l’aéroport de Marseille, ce premier dimanche de printemps, il n’y a qu’une seule possibilité : prendre un train à 2h35 du matin. C’est un train qui, partant de la frontière espagnole, relie Florence en longeant la côte méditerranéenne.  Entrer dans un compartiment à 2h00 du matin n’est jamais très agréable et ne m’enchante pas vraiment, mais il n’existe pas d’autre solution.

 

Une semaine avant le départ, je m’avise que le voyage aura lieu pendant la nuit du changement d’heure, la nuit où l’on va passer de l’heure d’hiver à l’heure d’été, c’est à dire cette nuit plus courte d’une heure dans laquelle il est brusquement 3 heures quand finissent de sonner les 2 heures ! Mais alors, que devient le train de 2h35 puisque cette heure-là n’existe plus ? Part-il de Montpellier à 2h35 ancienne heure ? Ou à 3h35 nouvelle heure ? Ou circule-t-il une heure plus tôt, ancienne heure, pour arriver à son terminus de Marseille à la même heure de la nouvelle heure ? Faut-il que je sois à la gare à 1h35 ancienne heure ? 2h35 ancienne heure ou 3h35 nouvelle heure ? Ou pire, ce train n’existe peut-être pas dans la nuit du changement d’heure ? Ou encore, ce train fait-il un bond de 100 kilomètres instantanément pour respecter les horaires ? Et, ce bond temporel et spatial, il va nécessairement le faire de Béziers, située une demi-heure avant Montpellier (à 2h00 ancienne heure), à Nîmes, située une demi-heure après (à 3h00 nouvelle heure), sautant allègrement et sans heurt par-dessus la gare de Montpellier !

 

Pour en avoir le cœur net, je téléphone aux renseignements de la SNCF [1]. Après une très longue attente parce que toutes les lignes sont occupées, je finis par joindre un employé à qui j’expose mon problème. Imperturbablement et avec la plus grande autorité, il me certifie que le train partira à 2h35 comme prévu sur les horaires ! Je tente bien une interrogation sur cette heure qui disparaît dans la nuit « du changement d’heure ». Non, il est catégorique, l’horaire prévu est 2h35 et la SNCF respecte ses horaires ; l’heure, c’est l’heure. Je raccroche perplexe. Quelques jours plus tard, je retéléphone à la SNCF et, après une nouvelle longue attente, je suis en contact avec un nouvel employé, une femme cette fois. Je repose ma question à la Raymond Devos : à qu’elle heure passe le train de 2h35 dans la nuit où, à 2 heures, il est brutalement 3 heures ? Existe-t-il cette nuit-là ? Et à quelle heure, avant 2h00 ou après 3h00, passera-t-il ? J’obtiens la même réponse aussi bardée de certitude que la première fois : le train passe à 2h35 ! Ce doit donc être un train fantôme passant à une heure fantôme. Pour éviter toute surprise, je suis à la gare de Montpellier dès 1 heure du matin, ancienne heure bien sûr, au cas où le train serait parti en avance d’une heure pour pouvoir respecter ses horaires liés à la nouvelle heure. Le train est bien affiché à 2h35, mais sans préciser de quelle heure il s’agit… puisque cette heure-là n’existe officiellement pas ! Évidemment, à 2h00 précises, personne ne vient modifier les horloges pour les mettre à la nouvelle heure, soit trois heures. L’attente se poursuit donc de 2h00 à 3h00 avec des horloges qui marquent un temps qui n’existe pas. 

 

« Ô Temps, suspends ton vol… » ! [2]

 

Bien sûr je ne suis pas le seul passager désemparé, les plus étonnés étant ceux qui ne savaient même pas que nous changions d’heure et qui doivent se faire expliquer longuement le problème. Les employés de la SNCF ne sont pas moins embarrassés qui sont incapables de nous informer sur l’heure éventuelle d’arrivée du train, ancienne ou nouvelle heure. Finalement, c’est à plus de 4 heures du matin, ancienne heure, soit 5 heures, nouvelle heure, qu’arrivera le train ! Cette nuit-là, toutes les circulations de train sont désorganisées puisque l’on fait circuler en même temps des trains partis à l’ancienne heure avec des trains partis à la nouvelle heure. Inutile de préciser que j’ai largement raté la correspondance avec l’avion de Tunis qui lui est parti à l’heure… de la nouvelle heure !

 


[1] En ces temps antédiluviens, internet n’existait pas mais il y avait des renseignements téléphoniques ! (note de 2018).

[2] Alphonse de Lamartine. « Le lac ». In « Méditations poétiques ». 1820.

 

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