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Notes d'Itinérances
19 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (19/69). Bizerte, une petite ville bien tranquille

Un délicieux port de pêche – Mais le souvenir d’une décolonisation difficile

 

 

« Nous longeâmes la côte pendant trois jours ; puis, le troisième jour, vers onze heures, apparut à nos yeux une charmante petite ville, bien orientale cette fois, assise au bord de la mer, au fond d’un golfe bleu comme l’océan de Cyrénaïque. Nous demandâmes le nom de cette ville à Vial. « Bizerte », nous répondit-il. A ce mot de Bizerte, la magie opéra... » [1].

 

Bizerte est toujours une charmante petite cité, dont la vieille ville, orientale, est enfermée dans la casbah. Elle est entourée d’une ville coloniale érigée au tournant du XXe siècle, aux rues se coupant à angles droits, aux larges trottoirs plantés d’arbres, aux immeubles de deux à trois étages avec des rez-de-chaussée occupés par des boutiques. Deux avenues coupent en diagonale le damier régulier des rues pour se croiser en son centre composé d’une vaste place agrémentée de plantations alignées de platanes, d’un square et d’un kiosque à musique. L’ensemble est « aéré », répondant bien aux considérations hygiéniques de l’urbanisme 1900.

 

Le petit port de pêche a conservé le charme particulier des lieux anciens, utilitaires, sans apprêt et sans maquillage. Certaines maisons sont bien délabrées, les quais inégaux, mais l’ensemble a un petit air de calme tranquille, avec ses maisons basses aux volets bleus, ses barques dormant sur la surface plane de l’eau. Les petits ports de Crête devaient furieusement ressembler à cela dans les années 50, minarets compris, avant l’apparition du tourisme de masse.

 

Mais Bizerte c’est aussi le souvenir d’une décolonisation française difficile, du refus de la reconnaissance de l’Indépendance tunisienne avec l’occupation militaire de la ville par l’armée française en 1961, le gouvernement français excluant de rendre la base militaire navale au nouvel Etat indépendant. L’affrontement armé provoqué par des travaux d’agrandissement de la piste d’aviation mordant de 1,5 mètre sur le territoire tunisien manifestait, une fois encore, l’incommensurable bêtise des responsables militaires et politiques, incapables de comprendre que les temps avaient changés, qu’il n’était plus possible en 1961 d’imposer des situations coloniales dans un monde où les rapports de force étaient favorables à l’émergence d’États nouveaux. Le développement de l’économie marchande mondiale n’avait plus besoin de colonies où puiser à bas prix des matières premières et vendre des cotonnades, mais d’États libres susceptibles d’acheter des équipements techniques et des usines « clef en main ». Seulement nos militaires rêvaient encore de conquêtes, de sable chaud, de rezzous et nos gouvernements de présence militaire française à l’étranger...

 

« Pourtant l’homme n’est pas
que la chair
le sang
les veines
de ce miel répandu
par terre
sur les murs
sur le lit
sur l’oreiller
dessus les draps
par la baïonnette
tachée
d’une goutte de larme » [2].

 

La crise de Bizerte se soldera par quelques milliers de morts civils et militaires (les estimations varient entre 632 et 5 000 morts du côté tunisien pour 24 à 27 militaires du côté français). La France y aura perdu une part de son influence internationale étant condamnée par deux fois à l’ONU à retirer ses forces armées. Finalement, en 1963, le gouvernement français se résoudra à évacuer Bizerte mettant ainsi fin à un épisode peu glorieux de l’histoire de notre pays.

 


[1] Alexandre Dumas. Cité par Mourad Ezzedine. « Tunisie, notes visuelles ». 1996.

[2] Rihda Zili. « Ifrikya ma pensée - L’homme résiste, Bizerte 1961 ». 1967.

 

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