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Notes d'Itinérances
26 juillet 2021

Algérie au coeur (4/42). Une guerre qui, en France, ne disait pas son nom.

Une guerre ? Mais où une guerre ?

 

 

Le plus étonnant pour moi était d’être questionné sur les chances de signature d’un accord de paix par les familles allemandes dans lesquelles je séjournais au cours de séjours linguistiques. Dès le début du séjour, les parents de mes correspondants allemands ne manquaient pas de me demander si « la guerre » allait bientôt s’arrêter. Je n’en savais rien.

 

Et de quelle guerre parlaient-ils ? Comme le souligne Roland Barthes dans sa « Grammaire africaine » à l’article Guerre :

 

« Guerre. - Le but est de nier la chose. On dispose pour cela de deux moyens : ou bien la nommer le moins possible (procédé le plus fréquent) ; ou bien lui donner le sens de son propre contraire (...). Guerre est alors employé dans le sens de paix et pacification dans le sens de guerre » [1].

 

Oui, il y avait bien en Algérie des « événements », quelques troubles mais qui allaient certainement très vite s’arrêter. Mais il n’y avait pas de guerre ! 

 

Le journal que je lisais alors, « L’Aurore », ne parlait bien sûr jamais de guerre, mais de « bandes »…

 

ou « d’éléments »…

 

régulièrement traqués puis arrêtés ou abattus alors que la « population musulmane »…

réaffirmait chaque jour son profond attachement à la France !

 « La dépréciation du vocabulaire sert ici d’une façon précise à nier l’état de guerre, ce qui permet d’anéantir la notion d’interlocuteur » [2]

 « Les éléments sont en général fanatiques ou désœuvrés. Car seuls, n’est-ce pas ? le fanatisme ou l’inconscience peuvent pousser à vouloir sortir du statut de colonisé ! »

 « Population est chargé de dépolitiser la pluralité des groupes et des minorités, en repoussant les individus dans une collection neutre, passive, qui n’a droit au panthéon bourgeois qu’au niveau d’une existence politique inconsciente »

 

… selon le discours gouvernemental sans cesse rappelé dans les allocutions et interviews.

 

« La « guerre » d’Algérie n’est pas une guerre : c’est du terrorisme, soulevé par une passion qui n’est pas seulement politique, mais essentiellement raciste et fanatique et qui doit n’être bientôt plus qu’une affaire de police et de gendarmerie » [3]. 

 

Alors, pourquoi mes hôtes allemands se préoccupaient-ils de nos petites affaires intérieures avec tant d’intérêt et d’insistance ?

 

La chose devint plus sérieuse à nos yeux quand nous apprîmes qu’un commando du FLN avait raté un attentat contre l’immense dépôt de gaz et d’hydrocarbures de la Plaine-Saint-Denis. Toute une partie de la banlieue Nord de Paris avait bien failli partir en fumée et nous n’habitions pas très loin. Les « événements » ont alors commencé à ressembler à une véritable guerre, avec des destructions massives et des morts jusque dans la population civile française. Et puis, même si je pouvais encore bénéficier d’un sursis parce qu’étudiant, l’âge de partir faire le service militaire approchait ! Cela devenait vraiment très sérieux et peut-être finalement y avait-il, en Algérie, des évènements qui ressemblaient à une guerre ?

 


[1] Roland Barthes. « Mythologies ». 1957.

[2] Idem pour les autres citations.

[3] Max Lejeune, députés socialiste de la Somme, Secrétaire d’Etat aux Forces Armées. « Nous gagnerons en Algérie ». Jours de France. N°97 du 22 septembre 1956.

 

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