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Notes d'Itinérances
1 septembre 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (38/69). Études de périmètres irrigués.

Problèmes et contradictions dans la gestion de l’eau
 

 

A partir de 1987, avec l'avènement du nouveau président de la République tunisienne Ben Ali [1], la tendance à la décentralisation est plus marquée : les gestionnaires de réseaux doivent progressivement assurer une gestion économique équilibrée, l'État souhaitant diminuer ses subventions. En 1990, les compétences des offices de développement sont transférées aux Commissariat Régionaux de Développement Agricole (CRDA) créés sur la base des différents gouvernorats (collectivité territoriale correspondant à un département).

 

Au tournant des années 2 000, il n’y a pas besoin d’être un grand spécialiste pour constater que les réseaux de canaux d’irrigation des périmètres sont en mauvais état, avec des fuites et des pertes d’eau. Les cultures agricoles n’ont d’ailleurs pas toujours de grands besoins en eau, elles sont composées en partie de plantations d’oliviers, de céréales et de prairies en élevage extensif. Sol et eau ne sont pas utilisés au maximum de leurs potentialités alors que la Tunisie est toujours un pays déficitaire en produits agricoles et alimentaires. Les nouveaux responsables de périmètres irrigués doivent faire face à la nécessaire amélioration du fonctionnement des réseaux mais aussi à l’exigence d’équilibre des comptes financiers !

 

Face au désengagement financier de l’État (25% des recettes), les organismes gestionnaires de réseaux ont besoin de rentrées d’argent pour assurer l’amélioration des réseaux. La solution, classique et libérale, est d’augmenter le prix de l’eau, mais cela devient de plus en plus difficile car le prix de l’eau a déjà beaucoup augmenté et il faudrait qu’il augmente encore de 40% pour atteindre l’équilibre financier ! De plus toute hausse du prix de l’eau entraîne une baisse des volumes vendus : les paysans développant en réaction les cultures en sec (oliviers, céréales, prairies extensives). Mais ce n’est pas la seule contradiction à laquelle doit faire face les gestionnaires de réseaux. Parallèlement, pour inciter à l’économie d’eau, l’État alloue directement des subventions aux agriculteurs pour l’achat de matériel d’aspersion ou de distribution au goutte à goutte à hauteur de 60% du prix d’achat, ces méthodes d’irrigation sous pression étant plus économes en eau. Mais, conséquence de cette facilité donnée aux paysans, ceux-ci s’équipent à bon marché, puisent l’eau directement dans la nappe par des puits ou dans l’oued lui-même, ce qui entraîne une nouvelle baisse de la consommation sur le périmètre irrigué. Baisse de consommation qui induit une nouvelle baisse des recettes de l’organisme gestionnaire ! L’organisme gestionnaire est ainsi placé au cœur de contradictions entre une exigence de réhabilitation du réseau collectif, d’indépendance financière vis-à-vis de l'État et les stratégies individuelles des agriculteurs elles-mêmes favorisées par l’État !

 

Cette situation complexe offre un champ d’étude intéressant pour des établissements d’enseignement supérieur spécialisés en hydraulique agricole mais aussi pour l’ensemble des acteurs de la zone qui recherchent des solutions aux problèmes rencontrés. Deux établissements, l’un français, l’autre tunisien, se sont associés pour effectuer des études avec leurs étudiants-ingénieurs et des professionnels africains de l’hydraulique, encadrés par des ingénieurs et enseignants des deux établissements, pendant deux semaines, en 1998 et 2000, avec l’aide et l’appui de tous les acteurs locaux : organismes gestionnaires des périmètres, services des ministères concernés, groupements professionnels agricoles. Il s'agit donc de comprendre le problème posé, d’en identifier les différentes causes et leurs importances relatives, d’analyser l’ampleur des dysfonctionnements mais aussi les atouts du périmètre irrigué. Comme il serait très étonnant que les problèmes rencontrés ne soient que techniques (qualité de l’eau, disponibilité, économie de la ressource, état des équipements) et économiques (équilibre budgétaire, coût des rénovations du réseau, prix de l’eau), à l’analyse technico-économique, il importe d’étudier également les motivations et les comportements des différents acteurs de ce système productif et social complexe. C’est même à ce niveau que l’étude se montrera, à mon avis, la plus intéressante : au-delà de réels problèmes techniques et économiques, elle révèlera les contradictions du fonctionnement de la société et de l’État sous l’ère du président Ben Ali, aux alentours des années 2000.

 


[1] Zine el-Abidine Ben Ali, né le 3 septembre 1936 à Hammam Sousse, était président de la République tunisienne du 7 novembre 1987 au 14 janvier 2011 (Note de 2018).

 

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