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Notes d'Itinérances
27 novembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (7/27). Dong Si Hua, un résistant anticolonialiste francophile.

Un militant anticolonialiste admirateur de la culture française 

 

 

Notre cyclo nous conduit au rez-de-chaussée d’un immeuble en bien mauvais état, aux façades noircies par les mousses, couvertes de protubérances de cabanes, d’auvents et de murs. A l’appartement indiqué nous nous adressons à un jeune homme qui ne semble pas surpris de voir débarquer ces deux français chez son grand-père. Nous découvrirons au cours de l’entrevue que celui-ci entretient un vaste réseau d’amitiés avec des personnalités politiques et scientifiques françaises. 

 

L’appartement est sombre, les murs se souviennent difficilement de leur dernière couche de peinture, un vert peut-être ? Le mobilier est sommaire, les murs décorés de vieilles affiches françaises et d’un grand plan de Paris, assez récent d’ailleurs. La maison respire la gêne ; le seul luxe est une petite bibliothèque de livres français. 

 

Le vieil homme dormait, mais dès qu’il apprend notre visite, c’est le branle-bas de combat. Pendant qu’il hôte son pyjama pour s’habiller, son épouse nous prépare et nous sert le thé. Présentations. Le vieil homme s’exprime dans un français châtié. Il raconte, il se raconte : souvenirs de ses luttes contre l’injustice du système colonial qui faisait de lui un habitant de seconde zone et refusait d’en faire un citoyen alors qu’il avait conscience que sa formation et sa culture, dépassaient celles de nombreux blancs, misérables aventuriers, ou petits fonctionnaires venus « faire de la piastre » ; souvenirs éblouis de son voyage à Paris où il a préféré voir la maison de Baudelaire que visiter la Tour Eiffel !

 

Au nom de la « mission civilisatrice de la France », nous avons ainsi semé de par le monde les grands principes de 89, Liberté, Égalité, Fraternité, lesquels alimenteront, en retour et avec logique, la lutte anticoloniale. Face à la colonisation anglaise, économique et pragmatique, ne s’embarrassant pas de grands principes, ces cartésiens de français apparaissent comme de drôles d’idéalistes ! Il est émouvant de découvrir cet attachement si profond à la culture française, de voir avec quelle finesse le vieil homme sait faire la part entre, d’un côté, un système et ses représentants les plus brutaux dont il eut à souffrir par l’emprisonnement, la déportation, et de l’autre, des valeurs, une éthique, une culture.

 

« Colère et tendresse en disent davantage, à mon avis, que si j’étais né dans du velours et bien traité par les occupants. Si je n’avais pas éprouvé dès mon jeune âge les meurtrissures du colonialisme, entre autres la honte de la perte du pays et la honte de la dignité humaine... mais j’ai pu saisir la différence entre le colonialiste et le Français de France, et en 1990, j’ai entendu susurrer les monts et les fleuves, les pierres et les pavés, les cimetières de France, et vu sourire les simples citoyens de France à la Place des Vosges, au bois de Vincennes, au sentier des douaniers à Perros-Guirec, sur la corniche de Sète. C’est le sujet du livre qui va suivre et que je me propose d’intituler le nectar de l’amitié » [1]

 

Aujourd’hui le vieil homme de 80 ans ne comprend plus très bien son Viêt-Nam. Des jeunes sans instruction, sans diplômes, s’enrichissent dans le commerce plus ou moins licite ; ils dépensent en un repas des sommes qui feraient vivre toute une famille pendant des mois. D’autres, qui ont acquis certificats et qualifications, ne peuvent trouver du travail. Il décrit l’apparition des classes sociales, de la maffia, de son amertume de voir le Vietnam évoluer ainsi. Il nous avoue que lui-même est obligé de continuer à travailler tellement sa retraite est devenue dérisoire, 30 $ par mois, ainsi que pour son épouse, médecin pédiatre. Il traduit en français les lois et règlements de la République du Viêt-Nam. Il se moque des rédacteurs de ces textes qui ne seraient pas capables, selon lui, de faire des phrases correctes avec sujets, verbes et compléments ! 

Non, ce n’est pas tout à fait comme cela que nous l’avions rêvé ce Viêt-Nam.

 


[1] Dong Sy Hua / Đồng Sỷ Hưá. Introduction de son livre « De la Mélanésie au Viêt-Nam – Itinéraire d’un colonisé devenu francophile ». 1993.

2023. Dong Sy Hua, surnommé « Vieux crabe », est décédé en 2005.

 

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