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Notes d'Itinérances
24 janvier 2015

Entre Toscane du Sud et Ombrie (16/22). Peruggia, Piranèse et Le Pérugin.

Un réseau de voies souterraines - Perspective et grottesques

 

 

 « Pérouse est une religieuse qui cache des meurtres sous son manteau ; ou une reine d’aventure qui, dix fois tour à tour, se fait nonne et assassine, toujours dans la violence, toujours dans le remord. A Pérouse, le rouge a des ombres noires ; et la noirceur des reflets rouges » [1].

 

Est-ce pour mieux dissimuler ses meurtres, cette violence, que Pérouse se double d’un réseau de voies souterraines cachées sous le manteau de ses rues et maisons ? Les passants qui les empruntent semblent pourtant davantage profiter de la fraîcheur des galeries que préparer de noirs dessins. Il n’empêche, l’étranger qui s’y égare a l’impression de s’introduire par effraction dans un dessin de Piranèse sur les prisons, aux architectures démesurées, entrecoupées d’escaliers colossaux, de passerelles, coupées de portails titanesques et éclairées par de gigantesques lucarnes d’où tombent des raies de lumière faisant sortir de la pénombre d’étranges et sinistres machines. Mais où donc le Vénitien a t’il eut la vision de ces mondes souterrains, lui qui ne devait connaître que de très rares et minuscules caves humides où dormaient des bouteilles d’amontillado ? Aurait-il visité la ville souterraine de Pérouse, les tunnels d’Orvieto, les soubassements des palais de Montepulciano ou les caves du Vatican ?

 

A Pérouse, les peintures de la loge des marchands, faites par Le Perugin de 1496 à 1500, sont intéressantes à plusieurs titres. Certes cette fois-ci, nous ne serons pas étonnés que Suarès trouve que l’affectation du Pérugin est « ennuyeuse à l’excès » et « sa niaiserie sentimentale fort triste » [2]. Il n’aimait apparemment pas plus Le Pérugin que Signorelli !

 

Mais, une nouvelle fois, ce qui est fascinant ce sont les paysages ainsi que les architectures de villes idéales aux perspectives grandioses. Un des premiers exemples de peinture en perspective date de 1427 avec la fresque de la Trinité, de Masaccio, à Santa Maria Novella de Florence. Ces premiers tableaux introduisent leurs personnages dans les éléments architecturaux, salle, loggia. Certes, c’est une révolution picturale, mais c’est surtout une révolution dans les représentations mentales : la taille des personnages est mise en relation avec les éléments du décor physique et non plus de leur degré symbolique. Les décors du Pérugin, comme ceux de Signorelli à l’abbaye de Monte Oliveto Maggiore, illustrent ces premières représentations de villes idéales au sein desquelles se déroulent différentes scènes de la passion ou de la vie des saints.

 

Chacun de ces tableaux est entouré d’une ornementation florale. A y regarder de plus près cette ornementation est bien étrange, dans les ramures se pressent des animaux singuliers, lévriers, chevaux. A ce bestiaire plutôt familier s’ajoutent des dauphins dont le corps se termine en feuille, des oiseaux à torse féminin, des chevaux à pattes de branchages et des chevaux marins, des torses d’hommes jaillissants d’une fleur. Bref, ce qu’il est convenu d’appeler en peinture des « grotesques ». La confrontation est étonnante entre les scènes représentées dans les tableaux et ce fouillis végétal et animal, contradiction entre les peintures centrales marquées par la clarté des scènes, centrées sur des personnages réels ou fortement humanisées, y compris pour l’histoire religieuse ou mythologique, au centre de villes idéales aux perspectives grandioses, avec les encadrements où dominent toutes sortes de chimères et de démons, griffons, sphinx, dragons, faunes, comme si le Moyen-âge et ses monstres venaient s’y réfugier.

 

En réalité, les grotesques sont encore une imitation de l’antique ! Ils apparaissent vers 1480 après la découverte des décorations peintes en frises ou en pilastres dans la Domus Aurea de Néron ! Signorelli jouera un rôle clef dans la diffusion de ces éléments décoratifs qui laissent la plus grande place à la fantaisie combinant génies, créatures, éléments architecturaux (bustes sur des piédestaux) et ornementation florale (feuilles d’acanthe, guirlandes). Mais chez ces hommes de la première Renaissance, peut-être est-ce aussi le symbole de leur situation entre deux cultures ?

 


[1] André Suarès. « Voyage du Condottiere ». 1932.

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