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Notes d'Itinérances
7 mars 2017

Grèce antique (4/18). Des grecs volubiles et joyeux, une image d’Epinal ?

Le Pirée, Mélina Mercouri et la crise grecque

  

 

La mer. Elle est loin la mer, derrière cet océan de toits en terrasses piquetés d’antennes de télévision. Athènes et ses faubourgs s’étirent interminablement, laissant subsister dans sa précipitation boulimique, ça et là, quelques rares plages vertes : le Lycabette, le Zappeïon, le parc Zingrou. Derrière le fouillis des ruelles de Plaka aux maisonnettes couvertes de tuiles brunes, les quartiers modernes entremêlent leurs damiers de rues rectilignes. Quelques grandes avenues s’efforcent de relier ces faubourgs dépareillés, superposés avec hâte. Comme pour se faire pardonner tout ce béton triste, les urbanistes d’Athènes ont aligné dans ces avenues de maigres arbrisseaux.

 

« Je connais cependant l’allure pitoyable des arbres d’Athènes. Ce sont en général des orangers amers. Leur taille n’atteint pas deux mètres. Le tuteur qui est censé les soutenir est habituellement sorti de terre - quelqu’un a dû lui donner un coup de pied - et s’appuie en fait sur eux. Ils portent leur tuteur comme une croix » [1].

 

Du film « Jamais le dimanche » [2], j’avais conservé le souvenir d’une vie joyeuse, débordante de vitalité dans les quartiers ensoleillés du Pirée, animés, aux nombreuses tavernes bruyantes et dans lesquelles coulaient à flots l’ouzo et les mélodies des bouzoukis. Et, comme les marins des escadres américaines en virée au Pirée, je voulais retrouver le quartier d’Illya, la prostituée au grand cœur.

 

« La société athénienne est exubérante. Elle parle sans cesse, elle exprime intensément ses sentiments, ses points de vue, elle éclate de rire pour un rien, elle mange avec boulimie, elle est toujours disposée à faire la fête comme si le lendemain n’était pas un jour ouvrable et elle a, naturellement, tout le temps besoin de voir du monde » [3].

 

Mais, ce dimanche après-midi, il fait gris et froid sur Le Pirée ; au lieu d’un entrelacs de petites ruelles, je ne trouve qu’un damier de rues rectilignes, se coupant à angles droits, encombrées d’automobiles. A quais, non pas des cargos venant de tous les pays du monde transportant des produits exotiques, mais des ferrys pour les îles des Cyclades, Paros, Naxos ou Santorin. Etait-ce bien ici, qu’Illya se jette nue dans le bassin du port, suivie par tous les hommes présents sur la digue ? Lesquels faillirent d’ailleurs tous se noyer, car les malheureux figurants avaient tellement besoin d’argent qu’ils en avaient oubliés qu’ils ne savaient pas nager ! Peu de monde dans les rues, sinon quelques familles sacrifiant au rite de la promenade dominicale, traînant une marmaille qui préférerait s’affaler devant la télévision. Finalement, à défaut de libations endiablées dans une taverne à ouzo et bouzoukis, nous prenons un « five o’clock » très collet monté au club nautique du port de plaisance, avec thé et pâtisserie ! Mais où sont les Grecs volubiles, fêtards, exubérants ?

 

2016. A première vue, la terrible crise économique traversée par la Grèce n’est pas trop sensible pour un œil étranger dans le centre d’Athènes, place Syntagma, dans les rues Ermou, Mitropoleos, ou le quartier de Plaka. Le samedi, la foule qui déambule dans les rues est nombreuse, jeune, enjouée, bavarde, expansive. Mais, si l’on y prête attention, certains signes ne trompent pas : boutiques ou bureaux fermés, immeubles condamnés. Si l’on s’éloigne du centre-ville, ces signes sont de plus en plus fréquents et il n’est plus possible de les ignorer, une boutique sur deux est fermée, rues et immeubles ne sont plus régulièrement entretenus, parfois les ordures ne sont plus ramassées.

 

« C’est en partie la pauvreté qui fait le bonheur des grecs. Athènes n’a pas de psychanalystes, ils ne gagneraient pas de quoi vivre. (...) Quand on sait que l’on risque de mourir de faim l’hiver prochain et qu’on a que la peau sur les os, on n’a que faire de s’enfermer dans son Œdipe » [4].

 

Je ne sais pas si cela est encore vrai aujourd’hui pour son Œdipe, mais certainement pas pour son estomac, le terme de son loyer et l’avenir de ses enfants.

 


[1] Vassilis Alexakis. « La langue maternelle ». 1995.

[2] Jules Dassin. « Jamais le dimanche ». 1960.

[3] Vassilis Alexakis. « La langue maternelle ». 1995.

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