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Notes d'Itinérances
15 septembre 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (61/69). Le droit à l’héritage des Tunisiennes.

Les femmes tunisiennes absentes de l’espace public – inégalité des droits à l’héritage

 

 

Le mouvement de libération de la parole qui a suivi l’affaire Weinstein a profondément modifié notre regard sur la place des femmes dans la société. Lors de ce dernier voyage, j’ai brutalement pris conscience de l’absence minoritaire des femmes dans l’espace public en Tunisie ! Non pas qu’elles soient aujourd’hui moins présentes dans cet espace qu’elles ne l’étaient dans les années 70/80 ou 90, car cette présence se limite toujours aux marchés, aux enfants qui vont et reviennent de l’école et aux jeunes filles qui sortent se promener en petits groupes en fin de journée. Ajoutez à cela quelques femmes agent de police, « agent d’entretien », réceptionniste ou guichetière…

 

Simplement, autrefois, je devais me satisfaire intellectuellement du fait que la Tunisie était considérée comme beaucoup plus avancée que les autres pays du Maghreb et du Machrek en matière de situation de la femme et je n’étais tout simplement pas sensible à l’absence des Tunisiennes dans l’espace public. Mais, depuis, le regard sur la place des femmes a changé. Le mouvement de libération de la parole touche évidemment aussi la Tunisie et celui-ci s’est emparé, depuis juin dernier, de la question des droits à l’héritage. En effet, malgré l’adoption en 1956 du Code du statut personnel, le plus progressiste du monde arabe, la succession était régie par un usage coranique qui prévoit que la part d’héritage revenant à la femme représente la moitié de la part de l’homme. Le 8 juin 2018, la Commission des LIBertés individuelles et de l'Egalité (COLIBE) a publié une série de propositions qui, selon elle, sont nécessaires pour répondre « aux impératifs de la Constitution tunisienne de 2014 et aux standards internationaux des droits humains ». Parmi ces mesures figurent l’égalité successorale, mais aussi la dépénalisation de l’homosexualité, l’abolition de la peine de mort, la fin de l’obligation de fermer les cafés pendant le mois de Ramadan, l’interdiction du prosélytisme, l’annulation du crime de blasphème.

 

Le lundi 13 août, devant le théâtre municipal de l’avenue Bourguiba, quelques milliers de manifestantes et manifestants ont réclamé un droit égal à l’héritage pour les femmes comme pour les hommes. Si le président de la République, Béji Caïd Essebsi [1], a apporté son appui à un projet de loi donnant ce droit égal sur l’héritage, afin que le projet de loi puisse être voté au parlement, il faut pouvoir réunir 109 voix sur les 217 députés. C’est dire que le projet ne peut être voté sans l’appui du parti islamiste Ennahda (« Mouvement de la Renaissance ») ou, à défaut, d’une partie de ses membres.  Or le parti Ennahda marque quelques réticences. 

 

« Je ne vois pas l’intérêt de cette réforme. L’héritage en Tunisie n’est pas une affaire d’égalité mais de justice et d’équité. C’est une question qui touche à la nature de la société et à la religion du peuple. On ne peut pas obliger ainsi une société à changer son mode de vie » [2] !!!

 

Le 26 août, dans un communiqué, le conseil de la Choura du mouvement Ennahda dit souhaiter « le maintien du régime de l’héritage comme indiqué dans les textes catégoriques du Coran (…) et comme souligné dans le code du statut personnel. Cette loi actuelle prévoit qu’un homme hérite le plus souvent du double qu’une femme de même rang de parenté » et, le 8 septembre, le parti islamiste a annoncé son intention de ne pas voter en faveur de ce projet de loi [3].

 

De fait, comme le souligne le juriste Slim Laghmani [4], la question n’est certainement pas uniquement religieuse [5], c’est peut-être avant tout une question économique et sociale : celle de la répartition des pouvoirs au sein de la cellule familiale : « par où passe la richesse passe également le pouvoir ». 

 


[1] Ancien ministre sous Bourguiba, député du Rassemblement Constitutionnel Démocratique jusqu’en 1994, quatrième président de la République en 2014, fondateur du parti Nidaa Tounes (Appel de la Tunisie) en 2012.

[2] Farida Labidi, députée d’Ennahda. Voir Le Monde – Afrique. « Dans les rues de Tunis, hommes et femmes pour un héritage « kif-kif » ». 14 août 2018.

[3] Lors de la fête de la Femme du 13 août 2020, le nouveau président tunisien Kaïs Saïed a enterré la loi sur l’égalité dans l’héritage (note de 2023).

[4] La Presse. « Slim Laghmani : L’égalité successorale : une affaire de pouvoir au sein de la famille ». 8 septembre 2018.

[5] Le Coran, sourate « Les femmes », 4-7 et 4-32, semble préconiser l’égalité dans l’héritage, alors que 4-11 fonde l’inégalité d’une part au garçon égale à celle de deux filles !

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