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Notes d'Itinérances
13 juin 2021

Toscane - Révolutions florentines (10/16). Sandro Botticelli - « Le Printemps » à la Galerie des Offices.

Un idéal de vie libre dégagée des contraintes

 

 

« Les œuvres d’art sont donc, tout autant (sinon plus du fait de la puissance spécifique de l’image) que les textes littéraires et les compositions musicales, des indicateurs précieux sur l’imaginaire des sociétés anciennes » [1].

 

Ce tableau (1482) a sans doute été commandé par la branche cadette des Médicis. Il rend compte d’une rupture décisive dans l’histoire de la pensée occidentale même s’il fut longtemps ignoré dans l’histoire de la peinture. La composition privilégie les lignes sinueuses, avec des choix de couleurs tout en fraîcheur et un rendu minutieux des détails, comme s’il s’agissait d’une tapisserie (peut-être parce que l’œuvre était destinée à orner une chambre). Le tableau représente des figures allégoriques issues de la mythologie gréco-romaine, nymphes, Vénus, Cupidon, les Trois Grâces, Mercure (photo). Le premier personnage à droite, bleuté, est Zéphyr, le vent qui annonce le printemps. Il est représenté au moment où il enlève la nymphe Chloris. Elle va se transformer en Flore, la déesse des fleurs, protectrice de la fertilité féminine, elle répand la vie sur terre en semant des fleurs. Au centre, souveraine, au centre du bosquet d’orangers, la déesse Vénus. Au-dessus d’elle, son fils Cupidon décoche ses flèches d’amour, les yeux bandés, en direction des Trois Grâces (Chasteté, Beauté et Volupté) qui symbolisent les vertus féminines. À gauche enfin, Mercure qui, avec son caducée, chasse les nuages qui menacent le jardin de l'éternel printemps [2].

 

Le tableau peut se lire comme un processus au cours duquel, en allant de la droite vers la gauche, s’opère le passage du désir amoureux vers l’amour sublimé. Autour de Vénus s’opposent l’amour charnel (incarné par l’union de Zéphyr et Chloris donnant naissance à Flore) et de l’amour spirituel (incarné par Mercure et les Trois Grâces). Vénus, au centre, établit le lien entre l’amour terrestre et l’amour idéal ; Mercure quant à lui, symbole de Connaissance et de Raison, marque l’aboutissement de ce parcours menant à l’élévation de l’âme. D’autres interprétations seraient possibles, mais ce qui est important c’est aussi ce que le tableau nous dit non pas sur lui-même, mais ce qu’il signifie en regard de la production picturale de son époque. En quoi il est singulier et en quoi il est un des symboles de la révolution culturelle du Quattrocento ? Ce tableau, par sa représentation profane en référence à la mythologie antique, s'affranchit de la reproduction de scènes de l’histoire religieuse chrétienne. Il participe de ce mouvement intellectuel qui fait rupture avec la culture du Moyen-Âge, considérée comme une longue parenthèse de 1 000 ans avec la culture et les connaissances gréco-romaines. Même si la confusion entre la figure de Vénus et celle de la Vierge est possible (et troublante !), il n’est plus question de reproduire et respecter un ensemble de codes liés à la représentation des épisodes de la vie du Christ et de la Vierge. C’est au contraire d’autres codes de lecture qui sont recherchés, notamment néo-platonicien selon lequel le monde sensible serait le reflet du monde des idées.

 

La rupture elle est aussi dans le décor, plus d’architectures urbaines avec de savantes compositions perspectives qui encadrent les personnages, mais au contraire un paysage naturel, un petit bois d’orangers. La rupture, elle est enfin dans la manière dont les personnages sont représentés ; c’est aussi un éloge de la beauté́ des corps [3] et de la sensualité́ par les gestes, les mouvements, la transparence des vêtements, qui suscitent le désir. C’est un idéal d’une vie libre qui est magnifié, dégagé des contraintes des vêtements, des règles sociales et religieuses imposées. L’imaginaire représenté est non seulement nouveau pour son époque, mais il est encore sensible aujourd’hui sans nécessairement que nous connaissions les références et les textes qui les sous-tendent. 

 

C’est la nouveauté, la force, l’ampleur des modifications dans les images qui font qu’au Quattrocento, comme aujourd’hui encore, ceux qui voient ces œuvres les comprennent, les goûtent et les ressentent.

 


[1] Jean-Philippe Genet. « Botticelli : pour qui peint le peintre ? ». In Étienne Anheim et Patrick Boucheron (dir.). « De Dante à Rubens : l’artiste engagé ». 2020.

[2] Site Virtuali Uffizi Galery. « Primavera ».

Elisabeth Crouzet-Pavan. « Renaissances italiennes, 1380 - 1500 ». 2007.

[3] Botticelli réalisera un des premiers nus féminins de la Renaissance avec « La naissance de Vénus » reprenant les gestes de la Vénus de Praxitèle dont les Médicis possédaient une copie.

 

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