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Notes d'Itinérances
15 juin 2021

Toscane - Révolutions florentines (11/16). Contre-Révolution à Florence ?

L’expression des contradictions d’une société complexe, paradoxale, aux évolutions rapides

 

 

Le 7 février 1497, jour de mardi gras, le moine Savonarole rassemble ses disciples et les envoient à travers Florence récupérer des milliers d’objets liés à la « corruption spirituelle » afin de les brûler sur le bûcher des Vanités sur la Piazza della Signoria. Vont alors être réduits en cendres les ouvrages de Boccace et de Pétrarque, mais également de nombreux chefs-d’œuvre de l’art florentin de la Renaissance. Sandro Botticelli apporte de lui-même certaines de ses peintures ; regrettant de s’être livré au goût du paganisme, il promit alors de se consacrer désormais exclusivement aux peintures religieuses.

 

Savonarole passe sa jeunesse à Ferrare où il montre un penchant moralisateur et un mépris de la Curie romaine qu’il décrit comme une « putain fière et menteuse ». Compte-tenu des mœurs de la cour papale de cette époque qui pourrait lui donner tort ? Il a même plutôt du mérite à précéder de plus de quarante ans les critiques d’un Martin Luther (1517). En 1475, il entre au couvent de l’ordre mendiant des Dominicains, à Bologne, où il occupe les fonctions de tailleur puis de jardinier avant de prendre l’habit en 1476. L’ordre l’envoie à Florence en 1482 où il devient célèbre en dénonçant les vices et la corruption des puissants, des Médicis, des nobles, du pape, des prélats, leur recherche du profit, du luxe, de la gloire. Suite aux guerres d’Italie déclenchées par les prétentions du roi de France, Charles VIII, sur le royaume de Naples, les Médicis sont renversés. Savonarole rencontre Charles VIII et négocie les conditions de la paix en évitant le sac de la ville. Savonarole institue un régime théocratique fondé sur une réforme morale et religieuse. Il modifie le système d’imposition, abolit la torture, renforce les lois contre l'usure, établit une cour d’appel et un système de secours aux pauvres, il dénonce la philosophie humaniste comme dangereuse et le luxe corrupteur. En février 1497, prenant appui sur un passage des Actes des apôtres selon lequel saint Paul aurait fait brûler les livres de magie de la ville d'Éphèse, Savonarole invite à brûler tous les objets qu’il nomme des « vanità » : tableaux « lascifs » (non religieux), objets d'art, meubles précieux, cartes à jouer, instruments de musique, livres « malhonnêtes » (Dante, Boccace et Pétrarque), vêtements luxueux, objets de toilette, parfums, cosmétiques… et même les poupées qui sont soupçonnées d’entretenir les petites filles dans un amour détourné ! 

 

Dans les régimes totalitaires, la volonté de puissance et le sentiment de la réussite engagent les dirigeants dans un processus de boule de neige qui ne s’arrête finalement qu’avec l’exacerbation des tensions et l’épuisement des populations. Le 4 mai 1498, des bandes de jeunes déclenchent une émeute qui devient vite une révolte ; elle aboutit à l’arrestation de Savonarole puis à sa condamnation pour hérésie. Le 23 mai 1498, sur la Place de la Seigneurie, le prédicateur dominicain Jérôme Savonarole est pendu puis brûlé devant une foule innombrable, et ses cendres jetées dans l’Arno [1].

 

Notre professeur d’histoire, au lycée, en nous enseignant la Révolution française, nous représentait « l’Histoire » sous la forme d’une roue immense avançant régulièrement et inexorablement, même si nobles, religieux et « forces obscurantistes » s’arcboutaient pour en empêcher la progression… A ce moment de son cours, il ne manquait d’ailleurs pas de mimer des personnages essayant de contrer l’avancée inéluctable de la roue de l’histoire et du progrès ! S’il avait eu Savonarole au programme, nul doute qu’il en aurait fait un de ces contre-révolutionnaires essayant de s’opposer à la progression inévitable de la roue de l’Histoire. Cette vision de l’histoire des sociétés humaines, linéaire, positiviste, inéluctable et manichéiste, ne permet pas de comprendre les forces différentes, contradictoires, qui travaillent les sociétés humaines. Le mouvement déclenché par Savonarole doit plutôt être vu comme une forme d’expression des multiples contradictions qui traversaient alors son époque, dans une société complexe, paradoxale, aux évolutions rapides : appréhensions différentes de la temporalité, apparition de nouvelles structures et de formes de pouvoir, développement des savoirs scientifiques et techniques, représentations différentes de la place de l’Homme dans l’espace, processus d’individuation et de conscience de soi… [2].

 


[1] Pierre Jodogne. « Jérôme Savonarole dans le jugement de ses contemporains ». In « Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques », tome 9, n°7-12, 1998.

[2] Voir Elisabeth Crouzet-Pavan. « Renaissances italiennes, 1380 - 1500 ». 2007.

 

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