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Notes d'Itinérances
12 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (12/69). Enquête en milieu rural - La vulgarisation agricole.

Encadrer les paysans

 

 

Pour compenser le déficit structurel de la balance commerciale des produits agricoles et assurer l’alimentation d’une population tunisienne qui s’accroit rapidement, le plan de développement économique 1982 / 86 propose d’élever la productivité en agriculture grâce notamment à la diffusion du progrès scientifique et technique et à la vulgarisation des innovations auprès des agriculteurs et éleveurs.

 

Dans cet objectif, la Direction de la Production Végétale du ministère de l’Agriculture met en place, depuis 1977, des Cellules Territoriales de Vulgarisation (CTV). Au contact des paysans, ces structures ont pour finalité de diffuser les techniques « modernes » de production agricole et d’élevage auprès de la grande masse des paysans en organisant des visites chez des agriculteurs-pilotes, ou sur des champs de démonstration, et des journées d’information technique sur les variétés à haut rendement, les engrais, les herbicides et insecticides... Par imitation des réussites obtenues chez les paysans utilisant ces nouvelles techniques, celles-ci devraient se diffuser progressivement dans le milieu rural, en « tache d’huile », et permettre ainsi une augmentation générale de la production agricole.

 

Les cellules de vulgarisation, mises en place sur l’ensemble du territoire, sont composées d’un ingénieur-adjoint et de trois ou quatre vulgarisateurs [1] selon les caractéristiques locales du milieu rural. Mais de fait, sur le terrain, ces cellules manquent souvent de moyens pour jouer leur rôle ; insuffisance de personnel et de financements pour mettre en place des parcelles de démonstration et organiser des visites d’exploitations « modèles », absence de moyens de déplacement, à quoi il faut ajouter l’isolement scientifique (absence de diffusion d’informations scientifiques et techniques). Leurs activités se restreignent souvent à l’urgence : la tenue de statistiques locales de production, la distribution des engrais subventionnés par l’État, l’instruction des dossiers de crédit et l’aide aux paysans pour remplir leurs demandes de prêts. La Direction de la Production Animale assure également un service similaire d’encadrement des éleveurs, de même certains offices de développement (par zone géographique ou par produits) ont également leurs structures de vulgarisation… ce qui peut entraîner parfois une certaine cacophonie locale. Tout ceci ne rend pas l’emploi de vulgarisateur très attrayant, aussi ne faut-il pas s’étonner que les élèves des lycées agricoles, qui devraient devenir les futurs vulgarisateurs, cherchent massivement à poursuivre des études supérieures pour obtenir un diplôme d’ingénieur-adjoint. Et, en cascade, les ingénieurs-adjoints demandent avec insistance une promotion sociale au grade d’ingénieur afin de pouvoir occuper des emplois plus valorisants !

 

Au cours des entretiens que nous avons, les vulgarisateurs soulignent que leur priorité pour participer à une action de formation, quelle qu’en soit la durée, c’est d’obtenir une reconnaissance de la nouvelle compétence acquise. Cette reconnaissance devant se concrétiser sous la forme d’une promotion, d’un changement de poste ou d’une élévation dans la grille indiciaire. Sinon, argumentent-ils, pourquoi se donner tant de mal ? Pourquoi devoir quitter sa famille pour aller étudier ? Peu cherchent à acquérir en priorité des connaissances et des compétences nouvelles afin de mieux répondre aux fonctions et aux conditions de réalisation de leur poste de travail. Ce qui apparaît le plus important c’est d’avoir un poste, de bénéficier d’un titre et d’un statut économique et social, assurant également l’obtention d’un revenu régulier. La valeur du travail est de moindre intérêt, car les vulgarisateurs ne semblent pas considérer que l’épanouissement de la personne se fasse dans le travail ; la « vraie vie » est ailleurs, dans les relations sociales, notamment familiales. 

 

Peut-on leur donner tort ? D’une part, ils n’ont que très peu de moyens à leur disposition pour effectuer leur mission et quasiment aucune autonomie dans leurs emplois ce qui rend effectivement ceux-ci peu attrayants. Mais, d’autre part, dans un monde où s’étendent les règles du marché et la compétition internationale, la Tunisie peut-elle échapper à une intensification des emplois ? Resterait à imaginer, et à assurer, l’amélioration des conditions d’emploi…

 


[1] Le titre d’ingénieur-adjoint en Tunisie correspond à celui de technicien supérieur en France ; les vulgarisateurs ayant un diplôme de technicien ou un CAP

 

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