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Notes d'Itinérances
30 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (30/69). Virage dans le développement rural tunisien.

Libéralisation et responsabilisation ?

 

Tunisie Cap Bon Kelibia

A partir des années 80, les organisations de coopération internationale commencent à douter des dispositifs publics d’encadrement des paysans. Une « nouvelle » approche est recommandée, abandonnant la vision d’une marche encadrée et rapide du développement agricole. A contrario, il est proposé de privilégier un « développement par le bas », valorisant les savoirs paysans ! Basée sur les échanges directs entre producteurs, sur les échanges d’expériences, l’élaboration de projets collectifs, la méthode se veut désormais « participative ». Dans cette approche, vulgarisation et formation professionnelle doivent être progressivement prises en charge par les organisations professionnelles agricoles ce qui favoriserait la confiance des agriculteurs [1]. Cette démarche, très libérale et diminuant la charge financière pour l’État de l’appui à l’agriculture sera très largement préconisée par les institutions internationales notamment le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale qui financeront des expérimentations. 

 

A Tunis, le vieux Calife, pourtant entré triomphalement dans sa bonne ville après avoir bouté les Françaouis hors du pays, n’était plus en phase avec les nouvelles réalités internationales des programmes d’ajustement structurel : libéralisation économique, du commerce et des prix. Il avait tendance à abandonner les réformes libérales réclamées par la Banque mondiale quand la révolte couvait dans le bazar. Fin 1983, le grand vizir de l’époque avait annoncé l’augmentation des prix du pain et de céréales suite à la baisse des aides de l’État ce qui avait mis le feu aux poudres obligeant à faire sortir les janissaires des casernes pour rétablir l’ordre. En janvier 84, le vieux Calife avait alors convoqué la télévision et annulé, en direct, toutes les augmentations de prix ! Avec l’appui des janissaires, ce fut un jeu d’enfants pour le nouveau Grand Vizir de déposer le vieux Calife en 1987. 

 

En 1989, dans ce grand mouvement de libéralisation et de « responsabilisation » préconisé par les institutions internationales, de nouvelles structures de base, les Associations d'Intérêt Collectif, sont créées en Tunisie afin d’assurer la gestion directe et l’entretien des réseaux hydrauliques agricoles en lieu et place des structures publiques. La prise en charge des réseaux par les agriculteurs bénéficiaires est sensée être un encouragement à une gestion plus efficace. En 1990, la direction chargée de l’Enseignement et de l’appui aux paysans est transformée en « agence ». L’Agence reste un établissement public à caractère administratif, placé sous l'autorité du ministre de l'Agriculture, qui hérite des missions de l’ex-direction, mais il est question, qu’elle devienne un organisme indépendant regroupant le dispositif de vulgarisation, de conseil aux agriculteurs et de formation professionnelle… à l’image de ce qui s’est passé en France au tournant des années 1960. En 1999, enfin, sont créées les Groupements de Développement Agricole, des associations de droit privé, ayant l’autonomie administrative et financière avec pour objectif le développement agricole et toute mission dans l’intérêt de leurs adhérents. L’adhésion aux groupements est libre et volontaire, et le groupement élit son conseil d’administration et son président… théoriquement, du moins, car le régime du Président Ben Ali contrôle tout, partout.

 

Ces évolutions vont toutes dans la droite ligne des préceptes de la « bonne gouvernance » chers aux institutions internationales, associant transfert de compétences de l’État vers les organisations d’agriculteurs, avec participation de la population au développement local et à son financement [2]. Tout le monde fait « du participatif » et découvre les vertus de la prise en main de leur développement par les populations concernées. Un fabuleux hasard historique et politique au moment où le modèle libéral, devenu hégémonique, renvoie justement sur les individus la responsabilité de leur développement dans le cadre d’un marché de plus en plus ouvert et coupe tous les crédits publics ! Ce qui n’est pas la moindre des contradictions quand on imagine aussi que l’État devra être capable d’amortir le choc de la transition vers une économie totalement libéralisée.

 


[1] Groupe de Travail Coopération Française. « Les interventions en milieu rural ; principes et approche méthodologique ». Ministère de la Coopération et du Développement. 1989.

[2] Aude-Annabelle Canesse. « Les Groupements de développement agricole (GDA), entrepreneurs locaux ou relais administratifs ? Quels enjeux participatifs pour les agriculteurs tunisiens ? ». in « Entrepreneurs maghrébins. Terrains en développement ». 2010.

 

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