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Notes d'Itinérances
1 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (11/27). La traversée du delta du fleuve rouge.

Une directive d’alignement appliquée sans faillir 

 

 

La route, en fort mauvais état, couronne la digue, dominant de chaque côté des canaux d’irrigation et les petits carrés juxtaposés des rizières. L’activité est intense : hommes, pantalons retroussés pulvérisant des insecticides ou désherbant manuellement, enfants allongés sur le dos des buffles (photo), ou faisant voler des cerfs-volants, jeunes femmes chargées de l’irrigation.

 

« … deux maigres Annamites, tirant et relâchant les deux bouts d’une corde (qui) font volter en cadence un seau de paille, pour amener l’eau d’un champ en contrebas » [1]

 

Le geste n’a pas changé depuis la description de Roland Dorgelès mais, dans le delta du fleuve rouge, il est plus vraisemblable qu’il ait vu des Tonkinois plutôt que des Annamites, mais alors on ne s’embarrassait pas toujours de distinctions entre les peuples d’Indochine !

 

Et, tout au long de la route, une activité étonnante : ça marche, ça roule en bicyclette, en mobylette, en bus. On y rencontre aussi bien un berger avec ses canards, qu’un gardien de buffle, ou un paysan qui transporte son cochon attaché sur son porte-bagage de vélo, sans parler de celui qui déménage avec sa bicyclette sur laquelle il a réussi à placer une armoire et son lit. Et partout des petits commerces, alimentation, restaurant, bar, fruits et légumes, bimbeloterie, quincaillerie.

 

Chaque village traversé donne l’impression qu’un typhon est passé au long de la route : les arbres sont abattus, couchés sur les trottoirs, les maisons éventrées, exhibant l’intimité de leur intérieur, les murs brisés et des tas de gravats s’accumulent sur les trottoirs. On nous explique que le gouvernement a exigé que soit respecté un dégagement de plusieurs mètres de chaque côté de la rue dans la traversée des villages. Cet espace ne l’était plus et chacun l’avait progressivement colonisé en installant tout d’abord une échoppe, puis en construisant un magasin en dur ou en agrandissant sa maison. Jusqu’au jour où l’administration a décidé de faire respecter la réglementation ! Chaque bâtisse doit donc être détruite, à un terme manifestement proche, sous la menace d’une destruction au bulldozer et, en conséquence, chaque famille s’active à casser sa maison ou sa boutique pour récupérer ce qui peut l’être. Le père abat les murs, la mère recueille et trie les matériaux que les enfants entassent. Bien évidemment chaque brique sera nettoyée puis réutilisée. A la petite gargote où nous nous arrêtons le midi, la même directive menace. Demain, le propriétaire fera tomber les murs et la poutre en béton et démontera la toiture de la terrasse qui nous accorde aujourd’hui son ombre. Si le paysage ne présente pas toutes les caractéristiques de la quiétude avec cette menace de destruction et cet aspect général de chantier où chacun s’active, du moins est-on bien loin de l’ambiance de la guerre qui prévalait ici il y a un demi-siècle.

 

A trente kilomètres au Sud d’Hoa-Lu, se trouve en effet la ville de Phat Diem. L’ancien évêché est, parait-il, car nous n’aurons pas l’occasion de nous y rendre, dominé par une immense cathédrale à la nef en carène de navire supportée par d’énormes piliers de bois de fer. Graham Greene y situe un chapitre de son roman « Un américain bien tranquille » dans lequel la ville est attaquée par les troupes Vietminh suivie de la contre-offensive des parachutistes et légionnaires de l’armée française. Cet épisode pourrait se situer lors de la troisième offensive du général Giap dans le delta du fleuve rouge en 1951 [2]. C’est notamment au cours de cette bataille que mourut le fils du général de Lattre de Tassigny sur le rocher de Ninh-binh à quelques kilomètres d’Hoa-Lu. Dénonçant la guerre et sa boucherie aveugle, Graham Greene décrit comment les malheureux civils, pris entre deux feux, se noient dans les canaux des rizières en utilisant une image culinaire particulièrement crue et atroce.

 

 « …Il me vient maintenant l’image d’un ragoût qui contiendrait trop de viande » [3]

 

Pour ceux qui en réchappent, il décrit les civils s’entassant dans la cathédrale en crevant de faim et de froid.

 


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

[2] 2023. La bataille de Phat Diem constitue la première campagne militaire conventionnelle du général vietminh Võ Nguyên Giáp, en envahissant la région à dominance catholique du delta afin d’essayer de briser la résistance des forces françaises qui y étaient stationnées.

[3] Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955

 

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