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Notes d'Itinérances
8 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (17/27). Les tours de Po Nagar à Nathrang.

Souvenir de la civilisation Cham

 

 

« La France, toujours généreuse, donne à tous, sans compter, ses bienfaits et ses secours.
- Quoi ! s’écrièrent les enfants, vous avez été si loin, monsieur Victor ?
- Mais oui, je suis allé en 1901, comme aide-vétérinaire, passer quelques temps à Nha-trang. C’est là, aux bords de la mer de Chine que s’installa en 1896 le Dr Yersin, avec ses collaborateurs, deux vétérinaires militaires ; c’est là qu’ils firent les premiers travaux pour combattre la peste humaine » [1].

 

Nha Trang est la ville où le franco-suisse Alexandre Yersin a découvert le vaccin contre la peste, et où il a également développé la culture de l'hévéa au Viêt-Nam.

 

Les restes du sanctuaire cham de Po Nagar [2], du VIIIe siècle, surplombent le port de pêche de la rivière Cai : quatre tours en forme de pyramide, de briques couleur jaune clair, parées de pierre (photo). Les Chams, ne connaissant pas le principe de la voûte, posaient les briques en encorbellement. La petite porte est en appareillage de grès, le linteau est surmonté d’un bas-relief taillé dans une pierre monolithe de grès également et représentant une apsara, la danseuse céleste, très déhanchée, jambes écartées, à la poitrine ronde, accompagnée de deux musiciens. A l’intérieur, une minuscule chambre où le linga, pierre dressée, symbole de Shiva et représentation phallique, était posé sur la yoni, pierre carrée trouée en son centre, symbole de l’organe sexuel féminin et représentation de l’épouse de Shiva, la déesse Shakti. Plus de linga et de yoni, la coquille de l’ancien sanctuaire hindouiste sert désormais d’abri à la déesse à dix bras, Uma, de la religion bouddhiste. Elle est habillée d’un vaste manteau de tissus jaune, parée de mille colliers et coiffée d’une couronne scintillante. C’est le même sort que partagent les différents temples d’Angkor. Les ennemis d’hier, Chams et Khmers, dont les batailles traversent l’histoire du Xe au XIIIe siècle, sont logés aujourd’hui à la même enseigne : leurs temples hindouistes sont utilisés au service d’une autre religion, le bouddhisme.

 

Les tours de Po Nagar sont d’une architecture semblable à celle des temples de Prasat Kravan, du Mébon oriental et de Prey Rup à Angkor, soulignant la parenté entre les royaumes du Champa et Khmer et leurs références communes au monde indien. Même constructions de briques sous forme de tours pyramidales, représentation du Mont Mérou, demeure des dieux. A la fois tour, elle évoque alors l’axe de l’univers, mais aussi pyramide, elle reproduit les différents niveaux de l’univers par les différents étages du corps de bâtiment. Le temple n’est pas un lieu de culte, mais la demeure du Dieu représenté par le linga. Une seule ouverture, à l’Est, au soleil levant, symbole du renouveau. L’architecture est foisonnante, complexe par la multiplication des « pancharams », des temples miniatures aux coins de chaque étage de la pyramide, accumulation de temples sur le temple. 

 

Le temple de Po Nagar fut incendié, à la fin du Xe siècle, par le Roi khmer Râjendravarma, celui-là même qui édifia le Mébon oriental et le temple de Prey Rup à Angkor. Le Royaume du Champa devait à son tour envahir et brûler Angkor, en 1177 ! « L’Indo-Chine » était bien ce lieu où cultures indienne et chinoise se côtoyaient, cette dernière descendant petit à petit le long de la côte de la mer de Chine, et repoussant vers le Sud, puis vers l’Est, les influences indiennes représentées par les Chams, dans l’ex-Anam, et les Khmers, dans le delta du Mékong. Les Chams, ce peuple autrefois conquérant, ayant fondé un empire puissant, représentent aujourd’hui moins de cent mille personnes au Viêt-Nam. Marginalisés, émiettés, ils ont perdu jusqu’à leur religion puisqu’ils sont désormais islamisés. Sur le chemin qui conduit au temple de nombreux mutilés vêtus de hardes militaires mendient, accompagnés parfois de leurs femmes et d’enfants manifestement dans la plus grande misère. S’agit-il d’anciens militaires Sud-vietnamiens ? 

 

« Ils étaient innocents. Ils croyaient que nous allions rester. Mais nous étions des libéraux, et nous ne voulions pas avoir mauvaise conscience » [3].

 

Eux sont restés, par force.

 


[1] G. Bruno. « Le tour de France par deux enfants ». 1905.

[2] 2023. Le sanctuaire Cham de My Son, près de Hoi An, est très bien mis en valeur mais est très fréquenté.

[3] Graham Greene. « Un américain bien tranquille ». 1955.

 

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