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Notes d'Itinérances
25 novembre 2022

Romaines ! (9/25). Béatrice Cenci (1577 / 1599).

Rione Regola / Via di Monserrato

 

 

A droite du Palais Farnèse, la via di Monserrato est peu fréquentée par les touristes ; c’est ici une Rome tranquille et populaire. La rue s'appelait autrefois « corte Savella » ou « curia dei Savelli » du nom d’une puissante famille romaine qui a donné plusieurs cardinaux et deux papes à l’église catholique et qui avait le privilège, depuis 1375, d’être maréchaux de la sainte Église-romaine et gardiens du conclave. En conséquence, une partie de leur palais, à l’emplacement actuel du n°42 de la via di Monserrato, possédait une prison qui a servi de 1430 à 1654. La prison, réservée au début aux seuls juifs (le quartier de Regola jouxte le ghetto), accueillit ensuite tous les inculpés.

 

C’est dans cette prison, comme le rappelle une plaque apposée sur le mur [1], que Beatrice Cenci, ses frères Giacomo et Bernardo, et la seconde femme de son père, Lucrezia Petroni, ont été enfermés suite à l'assassinat de Francesco Cenci, leur père et mari. Celui-ci, un aristocrate violent, débauché et immoral, emprisonné à plusieurs reprises, avait toujours bénéficié de la mansuétude des juges et du pape contre espèces sonnantes et trébuchantes. Il aurait notamment abusé de son épouse, de son fils et se serait apprêté à commettre un inceste sur sa fille Béatrice. 

 

Faute d’être entendus des autorités auprès desquelles ils s’étaient plaints, les membres de la famille résolurent de se débarrasser de leur bourreau. Le 9 septembre 1598, au cours d'un séjour dans leur château de Rocca Petrella, près de Naples, deux acolytes empoisonnent Francesco Cenci. Pour l'achever, les deux complices lui enfoncent un gros clou dans l’œil et un autre dans la gorge. La famille jette le corps par-dessus un balcon afin de simuler un accident. Les quatre membres de la famille Cenci sont arrêtés, torturés, reconnus coupables et condamnés à mort. Quant aux deux complices ils ont été assez mystérieusement assassinés. 

 

Le Pape Clément VIII Aldobrandini (1592 / 1605) refuse la grâce et, le 11 septembre 1599, les condamnés sont conduits à l’échafaud de la piazza di Ponte Sant’Angelo. Le frère ainé a la tête écrasée sur le billot d'un coup de maillet, puis il est démembré et ses membres accrochés aux quatre coins de la place. Lucrezia et Beatrice sont décapitées. Seul Bernardo est épargné en raison de son jeune âge (12 ans), mais il doit assister aux exécutions avant d'être remis en prison. Ses biens sont confisqués au profit de la famille du pape.

 

La condamnation des Cenci était une bonne affaire pour le pape. En refusant une exécution privée à laquelle avaient droit les familles nobles, Clément VIII Aldobrandini faisait savoir que sa justice serait inflexible pour tous ; de plus, il récupérait les richesses de la famille Cenci. Bonne affaire, mais à très court terme, car le petit peuple de Rome, lassé des comportements des puissants et de leur impunité, prit fait et cause pour Béatrice dont il considérait qu’elle s’était défendue contre un tortionnaire protégé par son titre. Béatrice devint le symbole de la résistance contre l'arrogance de l'aristocratie, de l’innocence sacrifiée et d’une « giustizia ingiusta » [2].

 

Béatrice a été enterrée devant l’autel de l'église San Pietro in Montorio. Sa tête coupée reposait sur un plat d'argent. La tombe fut profanée en 1798 par les soldats de la République française qui volaient les objets précieux et cherchaient du plomb pour fondre des balles. La tête de Beatrice disparut et ne fut jamais retrouvée. La légende veut que, chaque année, dans la nuit qui précède la date anniversaire de sa mort, Béatrice traverse le pont Sant’Angelo en portant sa tête.

 


[1] Une « justice injuste ». Plaque du n°42 de la via di Monserrato. 1999.

[2] L’histoire fut à l’origine de nombreuses œuvres artistiques : peintures (Guido Reni, 1600), nouvelles (Duchesse d’Abrantes, « Beatrice Cenci », 1834 ; Stendhal, « Les Cenci », 1837 ; Alexandre Dumas, « Les Cenci », 1840), poèmes (Shelley, 1919), pièces de théâtre (Antonin Artaud, « Les Cenci », 1935 ; Alberto Moravia, « Beatrice Cenci », 1958), opéras, films (photo)… Voir aussi Alexandra Lapierre, « Artemisia », chapitre 1, 1998.

Dans le cinéma voir : Vittorio Martinelli, Christel Taillibert. « Béatrice Cenci, ange ou démon ». In « 1895, revue d'histoire du cinéma ». n°26, 1998.

 

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