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Notes d'Itinérances
27 janvier 2014

Angkor (25/27). Techniques et plans de construction.

Une longue incompréhension des fondements de l'architecture khmère - Une grande complexité structurale mais des techniques limitées

 

 

 « Dans tous les temples d'Angkor, on a ainsi amoncelé des blocs de grès sur des hectares, dressé des murs, multiplié les terrasses en gradins, et quand on est parvenu au cœur du monument on trouve un corridor si étroit que les deux murs se touchent à la fois des mains, une salle au plafond bas où vingt hommes ne pourraient s'assembler, un sanctuaire à la voûte si maladroite que le poids seul des pierres devait suffire à l'affaisser. Ces artistes de génie ne savaient pas construire » [1].

 

La remarque de Roland Dorgelès soulève plusieurs questions sur les formes et la réalisation de l'architecture khmère. L’absence de grandes salles est également liée à l'absence de voûtes à claveaux dans la construction,

 

« ...l'architecture khmère s'est contentée d'un appareillage dont la cohésion est purement statique et ne se fonde que sur l'inertie. Cette particularité est certainement l'une des causes de l'absence de vastes espaces internes[2].

 

Mais cela n'explique néanmoins pas tout dans la mesure où les Egyptiens ont réalisé de très vastes salles dans leurs monuments alors que les principes de cohésion des structures sont les mêmes que chez les Khmers. L'architecture khmère est une architecture de volumes pleins et non une architecture de volumes intérieurs comme l'est l'architecture occidentale, elle représente symboliquement un univers, celui des Dieux, expliquant également la réalisation de grands ordonnancements, vastes allées, longues perspectives, symétrie axiale ou linéaire selon les points cardinaux. Roland Dorgelès et Paul Claudel fondent leur jugement sur une conception occidentale des lieux de culte et de la liaison entre l'individu et la divinité.

 

Pour un Européen, familier des constructions grecques ou romaines, il est également étonnant de constater que, paradoxalement, ces magnifiques temples, ces constructions grandioses, ces multiples édifices sculptés très finement sur de vastes surfaces, sont d'une facture technique médiocre. Ainsi les blocs utilisés sont extrêmement irréguliers et, s'ils s'emboîtent parfaitement, c’est qu’ils ont été assemblés par frottement sur les pierres de l'assise précédente. Les pierres du mur ne sont pas solidaires, car il est extrêmement fréquent que les joints verticaux des différents lits de blocs se superposent sans chevauchement entre blocs, entraînant la création de grandes fêlures verticales, puis le glissement de pans entiers de mur. De même, les fondations semblent peu profondes malgré le poids souvent énorme qu'elles doivent supporter.

 

A contrario, on ne peut qu’être frappé par l’extrême rigueur des lois qui régissent la composition des temples : plan carré, aux faces orientées vers les quatre points cardinaux, division en nombre pair, axialité du monument autour d’une ligne droite traversant le monument de part en part, symétrie reproduisant les mêmes formes de construction de part et d’autre de l’axe central, angles droits. La symétrie peut-être également développée sur un second axe, perpendiculaire au premier, déterminant ainsi une organisation orthogonale en quatre quartiers. Cette organisation des temples n’est pas seulement dans deux dimensions, mais dans trois. Les volumes sont superposés pour donner des effets d’élévation, en montant toujours plus vers un point culminant.

 

La visite des différents temples du site d’Angkor, des plus anciens aux plus récents, permet d’appréhender ces lois de composition des édifices et notamment comment elles se sont développées progressivement des premiers temples en pierre (Préah Koh dans l’ensemble de Roluos), les premiers temples montagne (Bakong à Roluos), les temples montagnes avec galeries pourtournantes (Baphuon et Phimeanakas), aux grands temples à plan centré (Angkor Vat), puis le temple bouddhiste avec des tours à visages (Bayon).

 

A chacune de ces étapes, les plans se complexifient avec galeries, bibliothèques, terrasses superposées, préaux en croix. C’est que le temple n’est pas fait seulement pour les hommes afin de louer leurs Dieux, c’est essentiellement pour eux que les temples ont été érigés, les temples sont aussi faits pour être vus d’en haut !

 


[1] Roland Dorgelès. « Sur la route mandarine ». 1925.

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