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Notes d'Itinérances
14 mai 2023

Rome, étrange et curieuse (39/45). Rione Testaccio XX (2) - Un cimetière pas très catholique - Via Caio Cestio, 6.

Que faire des Protestants décédés dans la ville des papes ?

 

 

Le cimetière « a-catholique » est plus connu sous le nom de « cimetière des Anglais » ou de « cimetière protestant », car ce sont à la fois la nationalité la plus représentée, même s’il contient aussi des Allemands, des Suédois ou des Russes, et la confession la plus courante. Mais y sont également présents des orthodoxes… et même désormais des athées ! Au temps des États de l’Église, quand la charité chrétienne régnait en maître sur le territoire de Rome, les non-catholiques ne pouvaient pas s’y faire enterrer. Avec l’existence de peuples et de nations protestantes ou orthodoxes, qui avaient néanmoins des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, il devenait urgent de trouver une solution d’autant que ces mécréants poussaient parfois l’audace jusqu’à mourir dans la cité papale ! Finalement, une solution fut trouvée avec l’achat d’un terrain situé au sud de la ville, le long des remparts, à la porte Saint-Paul. Si cet espace, acquis en 1734, était à l’intérieur de l’enceinte romaine, il était néanmoins très éloigné de la ville papale qui ne dépassait pas alors le Capitole. Mais les catholiques ne sont guère plus tolérants que d’autres confessions et les tombes étaient assez souvent profanées dans ce lieu éloigné, ce qui amena la Prusse et la Russie à faire ériger, à leurs frais, un mur d’enceinte en 1817. 

 

Le cimetière est toujours privé (photo) et il est géré par une commission composée des représentants de quatorze ambassades étrangères (Afrique du Sud, Canada, Danemark…) [1]. Les financements proviennent des familles des défunts avec l’achat de concessions trentenaires, mais pour 20% des 2 500 tombes seulement, les autres étant trop anciennes. Enfin un certain nombre d’États contribuent aux frais. Des célébrités y reposent comme les poètes anglais et amis John Keats (1795 / 1821) et Percy B. Shelley (1792 / 1822), mais je préfèrerais citer Malwida von Meysenbug (1816 / 1903), écrivaine allemande, Henriette Hertz (1846 / 1913), collectionneuse d’art et mécène… Il est toujours possible d’y être enterré, mais il faut néanmoins « montrer patte blanche » : n’être pas catholique, n’être pas Italien mais résider en Italie. Trois cas, au moins, ne répondent pas à ces critères, Antonio Gramsci, Carlo Emilio Gadda et Andrea Camilleri ! Antonio Gramsci (1891 / 1937) est un homme politique et philosophe, membre fondateur du Parti Communiste Italien, théoricien de la lutte sociale. Élu député de Turin en 1924, il a été arrêté le 8 novembre 1926, condamné pour conspiration et incarcéré à la prison « Regina Coeli ». Il paraît que le procureur aurait déclaré « Il faut empêcher ce cerveau de penser », ce qui était lui rendre un bel hommage involontaire ! En captivité, il écrivit des « Carnets de prison » [2]. Malade, il meurt quelques jours après avoir été libéré. Carlo Emilio Gadda (1893 / 1973) est un écrivain et poète. Il critique le fascisme et les valeurs bourgeoises notamment par l’utilisation du langage populaire, le dialecte romain (romanesco) ou le jargon technique. Il a notamment rédigé un roman policier goguenard, « Quer pasticciaccio brutto de via Merulana » [3] dont l’action se déroule dans Rome au temps du fascisme. Andrea Camilleri (1925 / 2019) est un metteur en scène et écrivain italien, connu internationalement avec sa création du commissaire de police Montalbano. Sicilien, il met en valeur son pays, sa langue dont il utilise dans ses romans des idiomes ou des tournures de phrases, sans jamais masquer les problèmes et l’existence du crime organisé. Mais, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt et que le commissaire Montalbano fasse oublier les autres romans de Camilleri souvent très drôles [4].

 

Il y a quelques temps, la presse américaine s’était inquiétée de l’état du cimetière où, Oh, My God, certains poètes reposeraient « au milieu des mauvaises herbes et des flaques » ! Ce cimetière me parait plutôt agréable, les allées sont ratissées, les pelouses tondues, les feuilles et branches mortes ramassées. Il ferait plutôt envie… non pas de mourir, n’exagérons rien, mais d’y lire un bon livre, au soleil, sur une chaise longue, avec un café ristretto. Certes, les pierres tombales et les statues sont verdies par les mousses, les marbres se délitent, les racines déchaussent les tombes, mais faut-il en faire un scandale ? Cette inquiétude n’est-elle pas plutôt le signe, très américain, du refus de la déchéance, de la mort ? Il leur faudrait un cimetière impeccable, d’où la mort serait absente. Ce peuple ignore le romantisme !

 


[1] Ouverture voir site Cemeteryrome.

[2] « La crise, c'est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître ». Citation des carnets de prison.

[3] Carlo Emilio Gadda. « L’affreux pastis de la rue des Merles ». 1963.

[4] Andrea Camilleri. Par exemple : « L’opéra de Vigata », 1999, « La pension Eva », 2007.

 

Liste des promenades dans Rome  et liste des promenades dans Rome étrange et curieuse

 

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