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Notes d'Itinérances
9 mars 2017

Grèce antique (6/18). Corinthe, la ville du rusé Sisyphe.

Condamné éternellement à faire rouler une pierre - Il faut néanmoins imaginer Sisyphe heureux

 

 

« Partons ! Adieu Corinthe et son haut promontoire,
Mers dont chaque rocher porte un nom de victoire,
Ecueils de l’Archipel sur tous les flots semés,
Belles îles, des cieux et du printemps chéries,
Qui le jour paraissez des corbeilles fleuries,
La nuit, des vases parfumés ! » [1].

 

Il existe deux villes de Corinthe : l’ancienne, un petit village qui se trouve à côté du site d’Apollon, et la nouvelle, une grande ville au bord du golfe, reconstruite à la fin du XIXe siècle à la suite du tremblement de terre de 1858 qui l’avait complètement détruite.

 

Voilà une ville fondée par un voleur, le malin et rusé Sisyphe. Ah, on peut dire qu’il en aura fait voir de toutes les couleurs aux dieux de l’Olympe, celui-là ! Pour obtenir du dieu des fleuves, Asôpos, qu’une source qui ne tarisse jamais jaillisse sur le rocher de l’Acrocorynthe qui domine de cinq cents mètres la vieille ville de Corinthe, Sisyphe lui aurait révélé que c’était Zeus, le Dieu des Dieux, qui lui avait enlevé sa fille, Egine. Furieux d’être dénoncé, Zeus aurait envoyé Thanatos, le génie de la mort, pour capturer Sisyphe. Mais, c’est celui-ci qui enchaîna Thanatos et qui, du même coup, fit cesser la mort sur terre ! Vous voyez d’ici l’imbroglio !

 

« … nous avons ici, entre autres documents, les mémorandums élaborés par les foyers dits du Crépuscule heureux, par les hôpitaux, par les pompes funèbres, par les compagnies d’assurance et, sauf dans le cas de ces dernières qui trouveront toujours le moyen de tirer profit de n’importe quelle situation, force est de reconnaître que les perspectives ne se contentent pas d’être sombres, elles sont catastrophiques, elles sont terribles, elles dépassent en danger toutes les élucubrations de l’imagination la plus délirantes… » [2].

 

Il fallut que Zeus lui-même s’en mêle pour remettre un peu d’ordre en libérant Thanatos et en ramenant Sisyphe aux enfers.

 

Comme il reprochait à sa femme de ne pas lui avoir rendu les hommages funèbres qui lui étaient dus, Sisyphe supplia Hadès, le dieu des enfers, de le laisser remonter un petit moment chez les humains pour châtier son épouse, ce à quoi Hadès, lassé, finit par consentir. Bien entendu, Sisyphe, après avoir puni son épouse, oublia aussi vite sa promesse, comme Hadès d’ailleurs qui n’était certainement pas très pressé de récupérer ce trublion et préférait le savoir ailleurs. Notre Sisyphe en profita largement, épousa Mérope, une des filles d’Atlas, et eut une nombreuse progéniture.

 

« Bien des années encore, il vécut devant la courbe du golfe, la mer éclatante et les sourires de la terre » [3].

 

Jusqu’au jour où, lassés d’être ridiculisés, les Dieux envoyèrent finalement Hermès récupérer Sisyphe et le ramener de force en enfer. Toutefois, pour éviter qu’il ne continue encore à jouer quelques tours et pour châtier sa ruse, Zeus le condamna à rouler une énorme pierre en haut d’une côte de laquelle le rocher redescendait éternellement.

 

« Son mépris des Dieux, sa haine de la mort et sa passion pour la vie, lui ont valu ce supplice indicible où tout l’être s’emploie à ne rien achever... » mais, «... la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux » [4],

 

Dans la lutte continue, toujours recommencée, contre les éléments, l’éternel retour des saisons, la mort, dans un monde désormais sans dieux ni finalités divines, il faut néanmoins imaginer Sisyphe heureux même si cette lutte apparaît vaine. Sisyphe heureux consacre sa victoire sur les dieux.

 


[1] Victor Hugo. « Les orientales ». 1826.

[2] On peut s’en faire une idée avec l’ouvrage de José Saramago, « Les intermittences de la mort ». 2005.

[3] Albert Camus. « Le mythe de Sisyphe ». 1942.

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