Grèce antique (7/18). Rencontres curieuses en Argolide : Corinthe.

L’apôtre Paul dans Corinthe la débauchée – Vous ne vous appartenez pas à vous-même !

Partout en Grèce vous faites des rencontres étonnantes. A Corinthe, pendant que Sisyphe remonte péniblement son rocher au sommet de l’Acrocorynthe, c’est une toute autre personnalité que l’on peut y croiser, l’apôtre Paul. Et là, s’il n’y a pas d’histoire sanglante, ce n’est pas moins inquiétant !

Ce jour-là, Paul de Tarse traverse difficilement la foule agglutinée sur l’Agora pour y rejoindre le Bêma.  Cette haute tribune, d’ordinaire réservée aux gouverneurs romains, située au Sud de l’Agora autour duquel se mêlent boutiques et temples, temples de Neptune, d’Hercule, de Vénus. Pendant sa défense du christianisme devant le gouverneur romain Gallion, Paul voyait-il encore les quatre statues colossales des barbares captifs qui lui faisaient face, de l’autre côté de l’Agora, par-dessus le moutonnement des têtes des Corinthiens qui se pressaient pour l’écouter ? N’était-il pas venu apporter la « bonne parole » et libérer les hommes de leurs chaînes ?

Il faut bien avouer que c’était assez gonflé de la part de Paul de venir prêcher le christianisme à la société de Corinthe qui avait la fâcheuse réputation d’être la plus dissolue de l’Empire ! Deuxième ville de l'Empire après Rome, avec une population estimée à un demi-million d'habitants, située sur un isthme qui relie le Péloponnèse au continent, avec ses deux ports celui du Léchaion, qui s’ouvre sur le Golfe de Corinthe, et celui de Cenchrées, baigné par le Golfe Salonique, elle contrôle une partie du commerce maritime du bassin méditerranéen. Elle s’enrichit avec les taxes de passages des marchandises et des vaisseaux sur le Diolkos. Sans parler des revenus liés à l’organisation, tous les deux ans, des Jeux Isthmiques qui attirent athlètes et amateurs. C’est aussi à cette époque qu’apparait le troisième ordre de l'architecture classique, l’ordre corinthien, le plus exubérant [1].

La réputation de Corinthe est des plus douteuse même s’il ne semble pas prouvé qu’existait une prostitution sacrée au temple d’Aphrodite [2]. L'aphorisme romain « Il n’est pas donné à tout le monde d’aller à Corinthe » [3] peut signifier tout à la fois qu’il était difficile d’accoster au port de Corinthe compte-tenu des écueils, mais aussi que la tarification des services des prostituées y était exagérément élevée ! Corinthe la riche, la cosmopolite, la débauchée. Une ville qui donnait le tournis. Il fallait à Paul une bonne dose de courage et de foi pour s'attaquer à l'évangélisation d'une telle cité et notamment sur un point sensible, la prostitution !

« 15 Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres de Christ ? Prendrai-je donc les membres de Christ, pour en faire les membres d'une prostituée ?
16 Loin de là ! Ne savez-vous pas que celui qui s'attache à la prostituée est un seul corps avec elle ?
 Car, est-il dit, les deux deviendront une seule chair.
17 Mais celui qui s'attache au Seigneur est avec lui un seul esprit.
18 Fuyez l'impudicité. Quelque autre péché qu'un homme commette, ce péché est hors du corps; mais celui qui se livre à l'impudicité pèche contre son propre corps.
19 Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes ? » [4]

« Vous ne vous appartenez point à vous-même ! ». Phrase terrible qui tout à la fois permet de faire descendre dans chaque être humain la divinité mais qui, en contrepartie, impose le pouvoir du religieux sur les corps. Il ne s’agit pas ici d’un conseil moral sur le soin que vous avez intérêt à prendre de votre corps pour assurer votre santé, mais elle  consacre l’emprise du religieux sur les conduites qu’il vous faut respecter, notamment en matière de sexualité. Corinthe n’est décidemment plus le symbole de la liberté sexuelle depuis très longtemps !

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[1] L'ordre corinthien est le plus complexe des trois ordres architecturaux classiques. Composé de deux rangées de feuilles d’acanthe, il exprime la richesse de la cité antique, en opposition à l'ordre dorique exprimant un mode de vie plus simple des anciens Doriens comme les Spartiates. L'ordre ionique était l’expression d’un équilibre fidèle à la philosophie et l'harmonie des Ioniens comme les Athéniens.

[2] Vinciane Pirenne-Delforge. « L’Aphrodite grecque ». Chapitre III – Corinthe. 1994.

[3] « Non licet omnibus adire Corinthum ».

[4] Paul. « Première lettre aux Corinthiens – Chapitre 6 – 15/20 ». Peut-être écrite à Ephèse vers 55/56.

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