Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Notes d'Itinérances
21 décembre 2022

Romaines ! (22/25). Elsa Morante (1912 / 1985).

Rione Sant’Angelo / Le ghetto de Rome

 

 

En 1555, Paul IV Carafa (1555 / 1559) édicte une bulle « Cum nimis absurdum » par laquelle il considère absurde que les Juifs puissent vivre parmi les Chrétiens. En conséquence, il révoque tous les droits concédés aux Juifs et instaure un ghetto dans le quartier alors le plus insalubre de la cité, Sant’Angelo. En 1603, des murs sont construits pour isoler le ghetto et ses cinq portes sont fermées du coucher du soleil à l'aube. Avec l’entrée des troupes de la République française à Rome, en 1798, les portes du ghetto sont ouvertes mais, à la chute de Napoléon, le pape Pie VII Chiaramonti (1800 / 1823) les referme à nouveau. Sur un espace habitable réduit, de 23 000 m2, s’entassent 5 000 personnes dans l’insalubrité la plus totale. En 1870, le pape perd son pouvoir temporel sur la ville : les portes et les murs du ghetto sont enfin abattus. Le 16 octobre 1943, avec l’aide de la police italienne, les nazis envahissent le quartier de l’ancien ghetto, arrêtent 2 091 femmes, hommes et enfants, les emmènent à la gare de Tiburtino, pour les déporter vers Auschwitz et Bergen-Belsen.

 

« L’invisible brouhaha se rapprochait et grandissait, bien que, en quelque sorte il eut semblé inaccessible comme s’il était venu d’un lieu isolé et contaminé. Il rappelait à la fois certaines clameurs que l’on entend dans ls asiles, dans les lazarets et dans les prisons : mais toutes mélangées pêle-mêle, comme des débris jetés dans une machine. Au bout de la rampe, sur une voie de garage rectiligne stationnait un train qui paraissait d’une longueur interminable. C’est de l’intérieur de ce train que provenait le brouhaha » [1]

 

Dans le roman « La Storia », Elsa Morante raconte à la fois l’Histoire, la grande, celle de la guerre mondiale, du fascisme, de la Shoah, mais aussi l’histoire, avec sa propre perception de cette période, avec la misère, la faim et la peur, au travers la vision d’une femme demi-juive, Ida, de condition modeste et chargée d’un très jeune enfant, toute tendue vers la survie de l’enfant. Dans un style qui mêle naturalisme et onirisme, elle décrit un univers de passion dominé par la subjectivité, mettant en évidence tout à la fois un monde humain mais aussi inhumain, à la limite du fantastique, d’une grande puissance émotionnelle comme dans cet extrait où Ida s’approche du train où sont parqués les raflés du ghetto en gare de Roma-Tiburtina, en attente de leur déportation. 

 

Elsa Morante est née le 18 août 1912 à Rome. Elle est la fille d'une institutrice de confession juive, Irma, et d'un employé des postes, mais elle est reconnue par le mari de sa mère, Augusto Morante, éducateur dans une maison de détention pour enfants. Elle passe son enfance dans le quartier populaire du Testaccio, au sud de Rome. Dans sa scolarité, elle est prise en charge par une institutrice, amie et disciple de Maria Montessori [2]. Dès l'âge de treize ans, elle publie des récits dans plusieurs journaux pour enfants. Elle commence des études universitaires qu'elle doit interrompre faute d'argent et, à dix-huit ans, elle décide de se consacrer à l'écriture, quittant famille et études. Dans les années 1930, elle publie un roman-feuilleton pour adolescentes et un livre pour enfants. De 1939 à 1941, Elsa Morante travaille comme rédactrice d'un hebdomadaire italien de grande diffusion « Oggi ».

 

Elle rencontre l'écrivain Alberto Moravia en 1936, avant de l'épouser en 1941 à l’église catholique. Ils se réfugient dans les montagnes, à la fin de la guerre, ce dont le roman de Moravia « La Ciociara » témoigne en partie. Elle publie son roman « Mensonge et sortilège » en 1948 et obtient le prix Viareggio. Puis elle est lauréate du prix Strega, avec son roman « L'île d'Arturo » en 1957. Elle publie, en 1974, « La Storia » qui connait un succès mondial avant d'être adapté à la télévision italienne, en 1986, par Luigi Comencini. Elle recevra le Prix Médicis, en 1984, pour son dernier roman « Aracoeli ».

 

La santé de l’écrivaine se dégrade suite à une fracture du fémur et, ayant perdu l'usage d'une jambe, elle vit immobilisée à son domicile. Elle tente de se suicider en 1983. Après une intervention chirurgicale infructueuse, elle meurt le 25 novembre 1985.

 


[1] Elsa Morante. « La Storia ». 1974.

[2] La Compagnie des œuvres. « Elsa Morante et Goliarda Sapienza ». France Culture, 13/04/2020.

 

Liste des promenades dans Rome par thèmes et Liste des articles sur les Romaines

Télécharger le document intégral

Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 989 883
Promenades dans Rome