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Notes d'Itinérances
12 décembre 2023

Viêt-Nam - 1995 / 2023 (21/27). HCMC - Rue Dong Khoï, ex-rue Catinat.

Le Givral et le Grand Hôtel Continental

 

 

Saigon, c’est aussi un souvenir de photos familiales : mon jeune oncle, en costume blanc de l’aéro-navale se promenant rue Catinat sur un trottoir de petites dalles carrées beiges. Une « petite » ville qui ressemblerait à nos cités méridionales, si ce n’était l’exotisme des passantes habillées en aò-dài et coiffées du « nòn là », le chapeau conique en feuilles de latanier. Ou encore mon oncle, toujours, photographié à côté de son vieil Avro-Lancaster de la marine nationale dans lequel il allait faire des missions de parachutage au-dessus de Diên-Biên-Phu.

 

« Dans le haut quartier n’habitaient que les blancs qui avaient fait fortune. (...) Le centre du haut quartier était leur véritable sanctuaire. C’était au centre seulement qu’à l’ombre des tamariniers s’étalaient les immenses terrasses de leurs cafés. Là, le soir, ils se retrouvaient entre eux. Seuls les garçons de café étaient encore indigènes, mais déguisés en blancs, ils avaient été mis dans des smokings, de même qu’auprès d’eux les palmiers des terrasses étaient en pots » [1].

 

La rue Catinat, « C’est une rue très large, aux trottoirs ombragés de platane ; la rue des beaux magasins et des grands cafés. Les magasins qui bordent la rue Catinat ont des façades blanches, des terrasses et des vérandas fleuries d’amaryllis » [2]. Claude Farrère en soulignait, lui, « l’agitation mondaine, correcte » d’une cohue « bariolée seulement occupée de son plaisir » [3]. Elle est restée une rue commerçante, mais au charme provincial avec ses immeubles début de siècle ou modernistes des années 50 surchargés de constructions parasites, terrasses et verrières, ses trottoirs ombragés dans la chaleur et la nonchalance et l’attente de l’ondée de fin de journée [4]. Les boutiques proposent des soieries, des laques ou des zypos (vrais ou faux ?) des GI’s.

 

« Le Givral », au carrefour de la Dong Khoi et de l’avenue Le Loi est un bistrot échappé d’une sous-préfecture française des années 50, conservant pieusement les rites et coutumes d’une époque antédiluvienne : ses garçons de café en gilets noirs aux multiples poches, pressés de prendre la commande et l’annonçant à haute voix, « deux cafés et une orangeade pour la quatre ! », ses pâtisseries, millefeuilles et tartelettes aux fraises, ses cafés-filtres bosselés. « Cinq heures sonnaient (...). Les terrasses s’émaillaient rapidement de consommateurs : vestons blancs et toilettes claires. Comme une rivière soudainement gonflée, l’artère élégante de Saigon se mit à charrier le flot bruyant de ses voitures, de ses marchands et de ses promeneurs. De café en café, des nhos couraient, passant d’une table à l’autre, glapissant le nom d’un journal local » [5]. Les gamins passent toujours sur le trottoir, mais pour vous vendre le dernier numéro du « Monde » et ses mauvaises nouvelles, la mort d’Hugo Pratt le vieux corsaire vénitien de la bande dessinée.

 

En face, le grand hôtel Continental (photo) : « Je décidais d’aller prendre le frais rue Catinat, sur la terrasse de ce fameux Café Continental, illustre à juste titre dans tout l’Extrême-Orient. » [6]. C’est au « Continental » que se déroulent les rencontres importantes des reporters et des militaires pendant les guerres française et américaine : « Les vedettes de la presse internationale et les pontes de toutes les couleurs nichent au Continental. Là, à la terrasse (...) ils échangent des bobards après le five o’clock follies » [7]. Fini le temps des fausses nouvelles, des confidences de couloir soigneusement distillées, des coups tordus, des articles écrits sur un coin de bar par des reporters s’imaginant être les enfants d’Hemingway à coup de doses élevées de whisky. Plus de terrasse, mais un hôtel de luxe pour globe-trotters branchés ou touristes japonais, entièrement rénové en conservant son cachet début de siècle, façade grise aux colonnes blanches, baies vitrées cintrées, petits carreaux. 

 


[1] Marguerite Duras. « Un barrage contre le pacifique ». 1950.

[2] Michel Ragon. « Ma sœur aux yeux d'Asie ». Lettre d'un engagé dans la "coloniale" en 1912.

[3] Claude Farrère. « Les civilisés ». 1907.

[4] 2023. Progressivement, des immeubles contemporains, cossus façon Hausman, et des tours de verre et de métal remplacent les maisons coloniales décrépites. La rue y gagne en respectabilité ce qu’elle perd en originalité. Le café Givral a disparu ; déplacé quelques rues plus loin, en 2011, il était devenu un salon de thé patisserie.

[5] Jean D'Este. « Les dieux rouges ». 1923. "Nhos" : gamins des rues.

[6] Pierre Benoît. « Le Roi Lépreux ». 1926.

[7] John Graves. « Falstaff au Viêt-nam ». 1994. « Five o'clock follies » : conférence de presse quotidienne de l'armée américaine.

 

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