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Notes d'Itinérances
14 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (5/16). La praça do Comércio et le Cafe-restaurante Martinho da Arcada.

Une place rendue à la flânerie – Un café assidument fréquenté par Fernando Pessoa

 

 

« Oui, c’est le Couchant. J’arrive à l’embouchure de la rue de l’Alfândega, le pas lent, l’esprit dispersé et, lorsque j’aperçois la tache claire du Terreiro do Paço, je vois nettement le non-soleil du ciel occidental. Ce ciel vire du bleu légèrement verdi au gris blanchâtre, et vers la gauche, tapi sur les pentes de l’autre rive, s’amoncelle un nuage brunâtre, d’un rose comme mort. Il règne une grande paix que je ne possède pas moi-même, froidement éparse dans l’air automnal et abstrait » [1]

 

La tâche claire de la Praça do Comércio (Place du Commerce), nom assez peu poétique du Terreiro do Paço (Terrasse du palais, d’avant le tremblement de terre de 1755), est désormais dégagée des palissades qui emprisonnaient la statue du pauvre Dom José Ier lors des travaux de l’exposition universelle de 1998. Et, miracle, les urbanistes et édiles ont réussi à faire disparaître la coulée de véhicules en lent mouvement qui coupait la place des rivages du Tage. Ce n’est plus qu’un ruisselet facile à traverser pour aller admirer les couchers de soleil sanguinolents sur la mer de Paille.

 

A l’angle nord-est de la place est situé le « Café-restaurante Martinho da Arcada », le plus vieux café de la ville, en activité depuis janvier 1782 (photo) ! En 1778 avait été ouvert un modeste magasin de liqueur transformé ensuite en taverne. Dénommé Café Italiana en 1784, il devient le Café do Comércio (1795), puis le Café dos Jacobinos (1809), la Casa da Neve (1820) et enfin, en 1829, le Martinho. Il est d’autant plus célèbre qu’il fut le bureau, le cabinet de travail, le lieu de rendez-vous, la salle de réunion, de débat, de rédaction, le salon, le café, le restaurant, tout cela ensemble et certainement bien d’autres choses encore, pour Fernando Pessoa, notamment dans les dix dernières années de sa vie, entre 1925 et 1935. La table sur laquelle il écrivit une partie de ses œuvres, entre deux verres d’absinthe, y est pieusement conservée. Rien n’a changé dans le décor, si ce n’est les photos du poète qui sont désormais accrochées aux murs. Amalia Rodrigues, ambassadrice du Fado dans le monde, Mário Soares, Premier ministre de 1976 à 78 et de 1983 à 85, Président de la République de 1986 à 96, Manoel de Oliveira, cinéaste, Alvaro Cunhal secrétaire général du Parti Communiste de 1961 à 1992, Carlos do Carmo, fadiste, José Saramago, prix Nobel de littérature de 1988, étaient également clients du café Martinho.

 

Mais ce qui a changé ne se voit pas, du moins pas au visiteur de passage. Ce qui a changé depuis 1935, c’est le public du café. Et ce n’est pas qu’une question de génération. C’est qu’il y a une face cachée au miracle urbain relevé plus haut, une face moins positive ! Si la circulation est désormais beaucoup moins dense, c’est aussi parce que le quartier a perdu son attractivité. La Praça do Comércio était autrefois le cœur battant de la ville, économique, politique, social à proximité du port et de ses activités. Les quais de déchargement des marchandises qui exigent de plus en plus de place et des liens étroits avec les autoroutes et les chemins de fer se sont éloignés du centre-ville avec la création de nombreux terminaux spécialisés sur les rivages de l’estuaire du Tage. Les bureaux commerciaux et les transitaires ont suivi, les administrations et ministères qui occupaient les bâtiments qui entourent la place ont également été déplacés et la grande bourgeoisie qui habitait les premiers étages de la Baixa a préféré des quartiers plus récents, plus calmes et plus verts. Enfin, coup de grâce, l’inauguration en 2004 de la liaison ferroviaire sur le pont du 25 avril a diminué la fréquentation des bacs traversant l’embouchure du Tage à partir de l’embarcadère du Terreiro do Paço. De fait, la fréquentation et la physionomie du public du quartier, de la place et du café se sont profondément modifiées : aux cadres et employés des entreprises et administrations se sont substitués les touristes. C’est un public qui dépense peut-être plus, mais qui est de passage, très volatil, et très peu régulier.

 

Le Martinho da Arcada s’efforce de s’adapter à sa nouvelle clientèle tout en confortant une tradition de rencontres culturelles. Après 1991, il a organisé de nombreuses manifestations et initiatives à caractère littéraire (Les conversations du jeudiLes nuits du MartinhoVisages portugais…). En dehors de la table Fernando Pessoa, « véritable ex-libris de la maison », le restaurant rend aussi hommage à Eduardo Lourenço, José Saramago, Júlio Pomar, Manoel de Oliveira et Ruy de Carvalho, en donnant leurs noms à des tables du restaurant.

 


[1] Bernardo Soarès / Fernando Pessoa. « Le livre de l’intranquillité – Soleil couchant ». 2004.

 

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