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Notes d'Itinérances
19 mars 2024

Portugal - Lisboa rime avec Pessoa (10/16). La Rua Garrett et le Cafe A Brasileira.

Un lieu animé – Une statue très appréciée des touristes

 

 

Du Largo do Carmo, par la Calçada Sacromento, on rejoint la Rua Garrett du nom de l’écrivain João Baptista da Silva Leitão, ennobli sous le nom de vicomte de Almeida Garrett (1799 / 1854). Romancier, dramaturge, poète, il introduisit le romantisme au Portugal avec le poème « Camões » (1825) ; il était également un ardent défenseur d’un théâtre national et fut le fondateur du Conservatoire de Lisbonne.

 

Si les Rua Garrett et le Largo Chiado étaient l’axe intellectuel du Lisbonne des XIXe et XXe siècles, elles sont devenues depuis le cœur commercial de la ville avec les boutiques de tous les grands groupes de la mode. Entre ces monstres internationaux subsiste la librairie fondée en 1732 par Pedro Faure, située à l’origine au coin des rues Direita do Loreto et du Nord. La librairie passe en 1740 / 1747 aux frères Bertrand (Jean et Martin) par suite du mariage de Magdeleine Faure avec Jean. En 1770 / 1773, la librairie Bertrand occupe l’emplacement actuel. En 2010, elle reçoit le titre de plus ancienne librairie au monde en activité. La librairie a été fréquentée par les plus grandes figures de son temps : José Fontana un des fondateurs du Parti socialiste portugais, ou Eça de Queiros qui introduisit le naturalisme dans la littérature portugaise.

 

Presque en face de la librairie Bertrand est situé le café « A Brasileira » que l’on identifie très vite au vu de la fréquentation touristique du lieu. C’est que, devant le café, est disposée la statue la plus appréciée de Fernando Pessoa (photo). En bronze, grandeur nature, le poète est représenté assis, accoudé à une des tables de la terrasse ; une chaise est disponible à côté ce qui permet à tout un chacun de partager un moment avec lui et, bien évidemment, de se faire prendre en photo, à côté sur la chaise, debout derrière lui, voire carrément sur ses genoux comme le suggère le poli du bronze !

 

C’est assez étonnant que cette statue ait été disposée à cet endroit alors que le café préféré de Pessoa était le Martinho da Arcada. Il est vrai que la rua Garrett est beaucoup plus fréquentée par les touristes mais, justement, Pessoa était solitaire, secret et très réservé [1], d’autant plus qu’il se sentait étranger au monde et à lui-même. Contradictoirement, il n’aura donc jamais été aussi entouré, fêté, cajolé, embrassé, et par des inconnus qu’il ne reverra jamais ! Mieux même, par des batteries d’inconnues alors qu’il était si distant, si emprunté, si maladroit avec les femmes. C’est vraisemblablement ce qui l’étonnerait le plus s’il revenait parmi nous. Autre réserve personnelle : la pose du poète, jambe croisée pied gauche sur le genou droit me semble un peu désinvolte et trop contemporaine ! Le sculpteur aurait-il pris modèle sur une photo de Pessoa peu connue ? De fait cette statue est à la fois intéressante car elle « désacralise » les Grands Hommes en les faisant descendre, au propre comme au figuré, de leur piédestal ; Pessoa est à hauteur d’homme. Mais ce n’est plus Pessoa le poète qui est fêté, adulé, c’est sa représentation sous cette forme, il pourrait s’agir aussi bien de Eça de Queiros, de Sá-Carneiro ou de l’inconnu Jules Dupont et le résultat serait le même !

 

Le « Brasileira do Chiado » a ouvert ses portes en 1905 avec l’objectif de proposer le « véritable café du Brésil » où son fondateur, Adriano Telles, avait vécu quelques années. Afin de promouvoir son café, le propriétaire offrait une tasse de café à chaque acheteur d’un kilo de café moulu. En 1908, il était proposé un petit-déjeuner très vite fréquenté par l’élite intellectuelle de la ville d’autant qu’en 1910, avec l’établissement de la République, la direction du Parti Républicain Portugais s’installait à proximité, sur le Largo de Sao Carlos. C’est au Brasileira qu’aurait été inventé le « bica », un expresso à la portugaise, peut-être un peu plus rond que le café italien. Le terme de bica proviendrait du slogan inventé par le patron « Beba Isto Com Azucar » (Buvez-le avec du sucre) car les clients, peu habitués à cette saveur, l’auraient trouvé amère. Autre légende sur l’origine du terme « bica » : le café aurait été servi directement dans la tasse à partir d’une machine munie d’un bec verseur (bica en portugais) afin de conserver les arômes. En 1922, en plus du café, sont désormais proposées toutes les autres boissons et la décoration du local est modifiée, style Art déco avec murs en miroir, luminaires en laiton, meuble-bar en chêne et panneaux de décoration en bois. En 1925, le Brasileira expose onze toiles de sept peintres qui fréquentaient l'établissement (Almada Negreiros, António Soares, Eduardo Viana, Jorge Barradas, Bernardo Marques, José Pacheko et Stuart Carvalhais) et devient ainsi une galerie d’art contemporain. 

 


[1] Luís Machado. « À la table avec Fernando Pessoa ». Cité par la Casa Fernando Pessoa.

 

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