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Notes d'Itinérances
25 septembre 2023

Testaccio - Un quartier-village (3/9). Une curiosité idéologique, le cimetière "a"catholique.

Que faire des protestants décédés dans la ville des papes ? - Antonio Gramsci, Carlo Emilio Gadda et Andrea Camilleri

 

 

Ce « a » privatif étant aujourd’hui peu consensuel, le cimetière est appelé cimetière des anglais (cimitero degli Inglesi), des Protestants (dei protestanti), ou encore du Testaccio (del Testaccio) et enfin des Artistes et Poètes (degli artisti e dei poeti). Il est tout cela à la fois ! Au temps des États de l’Église, quand la charité chrétienne régnait en maître sur le territoire de Rome, les non-catholiques n’avaient pas le droit d’être enterrés dans la terre consacrée de la ville. Ils n’étaient certes pas les seuls, les suicidés, les prostituées, les comédiens et les Juifs étaient également rejetés en dehors des limites saintes de Rome, les suicidés, prostituées et comédiens dans des fosses communes sur le Pincio, derrière le Muro Torto à la Villa Borghese, les Juifs sur les pentes de l’Aventin derrière le cirque Maxime… les enterrements devant se faire de nuit, soi-disant pour éviter les manifestations d’intolérance religieuse !

 

Avec l’existence de nations protestantes, ou orthodoxes, avec lesquelles le Saint-Siège avait dû développer des relations diplomatiques, il devenait urgent de trouver une solution quand ces mécréants avaient l’audace de mourir dans la cité papale. Vers 1716, Clément XI Albani (1700 / 1721) finit par accepter le principe de la création à Rome d’un cimetière pour les non-catholiques. En 1734, un terrain, situé au sud de la ville, en pleine campagne, très loin de la zone urbanisée, mais néanmoins à l’intérieur de l’enceinte d’Aurélien, derrière la pyramide de Cestius, est finalement acquis pour servir de cimetière. Comme les catholiques ne sont guère plus tolérants que les autres, les tombes étant assez souvent profanées dans ce lieu éloigné, la Prusse et la Russie firent ériger, à leurs frais, un mur d’enceinte en 1817. Le cimetière a connu plusieurs extensions, la partie la plus ancienne correspondant à une pelouse, derrière la pyramide, avec des arbres clairsemés car, selon le secrétaire d'État pontifical, ils auraient gêné la vue de la Pyramide [1] !

 

Le cimetière est une propriété privée, gérée par une commission composée des représentants de quatorze ambassades étrangères (Afrique du Sud, Canada, Danemark…) [2]. Les financements proviennent de ces États et de la vente de concessions trentenaires pour 20% des 2 500 tombes seulement, les autres étant trop anciennes. Il est possible d’y être enterré, mais il faut néanmoins montrer « patte blanche » : n’être pas catholique, n’être pas Italien, mais résider en Italie. Par exemple : les poètes anglais et amis John Keats (1795 / 1821) et Percy B. Shelley (1792 / 1822), August le fils de Wolfgang von Goethe (1789 / 1830), Malwida von Meysenbug (1816 / 1903), écrivaine allemande, Henriette Hertz (1846 / 1913), Axel Munthe (1857 / 1949). Quelques cas ne semblent pas répondre strictement à ces critères, comme Antonio Gramsci (1891 / 1937) [3], philosophe, homme politique, fondateur du Parti Communiste Italien, Carlo Emilio Gadda (1893 / 1973), écrivain, Andrea Camilieri (1925 / 2019), écrivain… Bref, il accueille des Anglais, des Allemands, des Suédois, des Russes, des Grecs, des Italiens, mais aussi des protestants de différentes obédiences, des orthodoxes et des athées. Il paraît qu’il y aurait même des musulmans, des zoroastriens et des bouddhistes… ce que je n’ai pas pu vérifier. Un bel exemple « d’œcuménisme » dans la ville papale ?

 

Il y a quelques années, la presse américaine se serait beaucoup inquiétée de l’état du cimetière dans lequel, Oh, my God, certains poètes reposent « au milieu des mauvaises herbes et des flaques » ! Ce cimetière me parait plutôt fort agréable, les allées sont ratissées, les pelouses tondues, les feuilles et branches mortes ramassées. Il ferait plutôt envie, non pas de mourir, n’exagérons rien, mais plutôt d’y lire un bon livre, au soleil, sur une chaise longue, avec un bon café italien, ristretto. Certes, les pierres tombales et les statues sont verdies par les mousses, les marbres se délitent, les racines déchaussent un peu les tombes, mais faut-il en faire un scandale ? Cette inquiétude n’est-elle pas plutôt le signe, très américain, du refus de voir la maladie, la déchéance, la mort ? Il faudrait un cimetière « clean », propre, impeccable, d’où la mort serait absente ! Ce peuple ignore le romantisme.

 

Via Nicola Zabaglia, n°40, le cimetière militaire de Rome (Rome War Cemetery), construit, en 1947, est dédié aux citoyens du Commonwealth morts à Rome pendant la Seconde Guerre mondiale.

 


[1] RomaSegreta. « Cimitero acattolico ». Site internet.

[2] Site Cemeteryrome.

[3] 1970, photo de Pier Paolo Pasolini sur la tombe de Gramsci au cimetière acatholique du Testaccio.

 

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