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Notes d'Itinérances
16 août 2022

Chroniques tunisiennes 1975 / 2023 (16/69). Pour une communication moderne.

Produire plus en communiquant mieux

 

 

Pour atteindre les prévisions du VIe plan quinquennal de la Tunisie (1982 / 86) sont proposées des mesures diverses qui concernent des investissements d’infrastructures (hydraulique agricole, l’amélioration de la commercialisation des produits agricoles et alimentaires, le soutien des prix des produits agricoles, le développement de la recherche agronomique et… la « vulgarisation de techniques modernes de production » !

 

Pour produire plus et mieux, les experts du plan proposent de diffuser des messages techniques précis aux agriculteurs, appuyés par des démonstrations de matériels, de traitements phytosanitaires, des essais de nouvelles espèces animales et végétales, d’engrais. Il faut « encadrer » les paysans pour qu’ils orientent leurs activités en fonction des objectifs de la politique du gouvernement. L’effort « d’encadrement » doit porter en priorité sur les petits paysans parce que les spécialistes du plan pensent que ce sont eux qui ont les marges d’amélioration de la production les plus élevées. Pour assurer cet encadrement rapproché des paysans, il est prévu de former vétérinaires, ingénieurs, techniciens supérieurs et techniciens, et de mettre en place un système de formation continue pour les vulgarisateurs et enseignants des écoles d’agriculture. Le plan envisage même de transformer une partie des lycées agricoles en établissements d’enseignement supérieur ce qui semble d’autant plus facile que les formations de techniciens dans ces établissements sont alors quasi arrêtées. 

 

Tous ces vulgarisateurs vont devoir délivrer un « message » technique clair et séduisant auprès des agriculteurs, lesquels « n’auront plus qu’à faire » ce qu’on leur a appris ! Il suffirait donc de former les vulgarisateurs aux techniques « modernes » de communication pour qu’ils transmettent la bonne parole : un message technique clair, avec quelques outils médiatiques nouveaux et attrayants, films ou vidéos de préférence. En conséquence, le centre de formation des personnels de l’agriculture souhaite posséder un ensemble de matériel audiovisuel à la pointe du progrès technique pour assurer au personnel la maîtrise de cette communication moderne et efficace : circuit intégré de télévision dans l’établissement, studio d’enregistrement et bancs vidéo pour le montage de documents. Une mission d’expertise est demandée afin de préciser la nature des investissements dont le financement serait assuré dans le cadre de la commission mixte franco-tunisienne. Mais, patatras, l’étude montre qu’il n’existe pas alors en Tunisie d’entreprise susceptible d’installer et d’entretenir ce type de matériel ! Un camion de régie-télévision pour assurer des reportages en milieu rural est d’ailleurs en panne dans la cour du ministère de l’Agriculture et un banc de montage professionnel est toujours dans ses cartons dans les caves du même ministère parce qu’il n’existe pas d’entreprise et de technicien susceptibles de les installer, les utiliser et les entretenir.

 

Mais, plus fondamentalement, le blocage du « message » technique du vulgarisateur au paysan est-il dû à l’absence de supports « modernes » de communication ? Les vulgarisateurs connaissent-ils vraiment la situation des paysans ? Comment sont-ils perçus et acceptés par les paysans ? Les paysans n’organisent-ils pas leur production en fonction d’autres logiques que celles de la planification gouvernementale ou de la recherche de profits ? Par exemple, assurer prioritairement la couverture des besoins alimentaires de leurs familles ? Ou de logiques sociales locales ? Les vulgarisateurs ne sont d’ailleurs pas dupes de ce discours sur les supports « modernes » de communication. Ils préfèreraient avoir à leur disposition une mobylette pour pouvoir se déplacer facilement ou distribuer plus d’engrais et de crédits ruraux.

 

Les objectifs du plan en matière de formation de vétérinaires et ingénieurs sont étonnants car, sur le terrain, il y a plutôt une pénurie de personnel au contact des agriculteurs et une pléthore de cadres ingénieurs, y compris d’ingénieurs et vétérinaires sans emplois. Au même moment, le ministère de l’Agriculture envisage de distribuer des lots de terre à ces fonctionnaires pour désengorger la fonction publique ! Ces « nouveaux » agriculteurs, bien formés techniquement, devraient produire plus et mieux et assurer une vulgarisation par imitation auprès des petits paysans, leur réussite ayant valeur d’exemple. Encore faut-il être sûr que les ingénieurs, devenus « exploitants agricoles », soient des producteurs performants ou qu’ils ne mettront pas leur terre en fermage pendant qu’eux-mêmes feront du commerce en ville, car la terre est basse…

 

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