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Notes d'Itinérances
17 février 2022

Emilie - Romagne (9/28). Ravenne - L’expression de la souffrance dans le christianisme.

La souffrance un modèle social institutionnalisé

 

 

A partir du IIe siècle, se généralise la notion de « martyre » et le culte des martyrs. Dans les lieux de culte de Ravenne sont notamment représentés des processions de martyrs, en toge romaine, bien alignés, mais il n’est nullement fait allusion aux instruments de leur martyr, pas plus qu’à leur déroulement. Le Christ lui-même n’est pas représenté sur la croix. C’est que désormais la foi chrétienne est triomphante, elle est partagée par le plus grand nombre et une nouvelle ère est possible dans laquelle règnera l’ordre du Christ.

 

Au Moyen-Âge, la douleur va progressivement être institutionnalisée et instrumentalisée par l’Église ; l’expérience de la douleur devient un moyen de rédemption. Le culte des martyrs va développer celui des saints, des êtres de chair qui vont accepter la douleur comme un don de soi, à l’image du Christ. Le roi Louis IX lui-même affiche sa volonté́ de s’identifier à la personne du Christ et s’inflige la discipline [1]. La représentation de la douleur est d’abord associée à la crucifixion laquelle apparait au Ve siècle. Au Dieu fait Homme triomphant de la mort succède l’Homme-Dieu, souffrant, qui meurt sur la croix. Des ordres religieux nouveaux apparaissent, Franciscains (1209) et Dominicains (1216), qui ont une autre approche des relations entre clergé et croyants. A la conception du bon berger conduisant son troupeau dans un monde où le christianisme est triomphant sur le paganisme et donc les démons, succède l’idée d’évangéliser les chrétiens en expliquant la parole divine. L’image est alors utilisée pour transmettre le message chrétien avec des personnages ressemblant à des êtres humains, exprimant des sentiments humains. A l'imposant Christ Pantocrator succède un Christ qui vit, souffre et meurt au milieu des hommes. Cette souffrance est physique mais elle est aussi morale chez les assistants, la Vierge, les saints, les témoins. L’artiste ne peut toutefois représenter la souffrance que dans un cadre codifié, elle est représentée par un geste ou une attitude : tête penchée ou posée sur l’épaule, bouche ouverte dans un cri ou main devant la bouche pour arrêter ce cri, tète tenue entre les mains, mains jointes (cf. baptistère de Parme).

 

Le phénomène amorcé au XIIIe siècle impose progressivement l’idée que les épreuves, la souffrance sont une punition pour une humanité́ qui est fondamentalement pècheresse. Les Chrétiens doivent souffrir à l’image du Christ. Le parallélisme entre la souffrance des hommes et celle du Christ introduit une nouvelle orientation dans le choix des représentations religieuses. On privilégie désormais les scènes de la Passion, la montée au calvaire, la Crucifixion, la déposition, le Jugement dernier, l’enfer placé sur le mur du fond, celui que le Chrétien voit en sortant de l’église (cf. abbaye de Pomposa). Dans l’Enfer, on insiste sur les châtiments correspondants à chacun des sept péchés capitaux (cf. chapelle Bolognini de San Petronio). Les artistes soulignent avec réalisme la douleur, à la fois physique et psychologique. La souffrance des saints est mise en avant. Grégoire XIII Boncompagni (1572 / 1585) fait décorer les murs de San Stefano rotondo, à Rome, de 34 fresques de martyres. Chacune comporte une inscription relatant la scène, avec le nom de l'empereur qui a ordonné le martyre, ainsi que des citations de la Bible. Plusieurs scènes représentent des crucifixions « classiques », ou la tête en bas comme celle de Pierre. Mais aussi, les bourreaux tranchent des mains, des membres, à la hache ou à l’épée, ils arrachent les seins avec des pinces, ils coupent des langues, ils transpercent les corps de flèches, d’épées, ils les ratissent, les ébouillantent, leur versent dessus de l’huile brûlante, les plongent dans des chaudrons remplis d’eau ou d’huile bouillantes, ils égorgent les martyrs, les décapitent, les font brûler, griller, ou mettre mains ou pieds dans les braises, les lapident, les écrasent sous des rochers, les enterrent vivants ou les noient, les jettent dans le vide, les font mordre par des chiens, manger par des lions ou des panthères… Je n’ai pas tout noté et je dois en oublier.

 

L’art religieux traduit ainsi une orientation des principes de la religion catholique vers le « dolorisme » en montrant la souffrance des personnages et en sublimant la notion de douleur [2]

 


[1] La « discipline » ou escourgette est un petit fouet qui sert à s’auto flageller.

P. Durand. « La douleur dans l’art occidental chrétien : un nouvel axe de réflexion pour une aide thérapeutique ? ». In « La Lettre du Rhumatologue ». N°352. Mai 2009.

[2] En 1984, dans l'encyclique Salvici doloris sur le sens chrétien de la souffrance humaine, Jean-Paul II affirme « Tout homme qui porte secours à des souffrances, de quelque nature qu'elles soient, est un bon samaritain. Secours efficace, si possible ». Enfin ! 

 

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