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Notes d'Itinérances
15 janvier 2023

Architecture moderne à Flaminio (10/12). Le Foro Italico – Le colosse du Duce !

Le ridicule porté à ses sommets

 

 

Une ville n’est pas seulement constituée de l’ensemble de ses constructions matérielles et, outre la vie sociale, économique, artistique qui s’y développe, elle est aussi faite de son histoire passée comme des projections rêvées de son avenir. Si Rome est chargée d’une histoire particulièrement longue et riche, elle comprend aussi quelques élucubrations imaginées. La caractéristique des dictatures c’est de toujours faire dans la démesure. Aux dictateurs, il ne suffit pas de marquer les esprits de leurs contemporains de manière indélébile, généralement par la guerre, encore faut-il qu’ils laissent des traces de leurs ambitions démesurées pour les générations à venir. C’était notamment le cas avec le projet du Foro Mussolini qui comprenait, outre ses installations sportives, la réalisation d’une vaste place de 120 000 m2, pouvant accueillir de 400 à 500 000 personnes pour de vastes rassemblements populaires, l'Arengo della Nazione, au lieu de la piazza Venezia. Le tout dominé par une statue cyclopéenne en bronze d'Hercule Victorieux sous les traits de Benito Mussolini ! 

 

Ce colosse de cinq mille tonnes, de 107 mètres de haut en incluant sa base du 20 mètres, aurait surpassé les 30 mètres du colosse de Rhodes (300 av. J-C) et de Néron (64), les 93 mètres de la Statue de la Liberté de New York et rivalisé avec les 137 mètres du Dôme de Saint-Pierre. Le colosse dans une pose assez ridicule, les jambes écartées et les bras levés (le gauche faisant le salut romain), le regard tourné vers le ciel, couvert d’un long manteau descendant des épaules jusqu'au piédestal assurant une structure de soutien, devait être situé sur une terrasse en forme de proue de navire en appendice du Mont Mario. Il aurait dominé la ville, aussi avait-il été envisagé que, comme pour la statue de la Liberté, les visiteurs puissent monter au sommet, par deux ascenseurs situés à l'intérieur des jambes de la statue, pour admirer le splendide panorama sur la ville et le dôme de Saint-Pierre [1].

 

Renato Ricci, l’hiérarque fasciste parrain de l'initiative, directeur de l'Œuvre Nationale des Balilla (l’organisation fasciste de la jeunesse), aurait affirmé à Mussolini, en mars 1933, que la statue serait si grande qu'elle ferait pâlir la mémoire du légendaire Colosse de Rhodes (30 mètres) [2].

 

En 1936, Renato Ricci, confie la responsabilité technique du projet à un jeune architecte, Luigi Moretti, auteur du bâtiment de l'Académie d'escrime au Forum Mussolini, et la construction de la statue de bronze au sculpteur Aroldo Bellini [3]. Bellini commença à travailler sur la tête et le pied du Colosse. En effet, selon Polyclète (Ve siècle av. J-C), les règles des proportions dans la sculpture prennent la tête comme unité de mesure du reste du corps dont elle en représente le 1/8. Mais Bellini a probablement utilisé la proportion de 1/7 ; sa tête faisant 12 m de haut l’ensemble de la statue aurait donc fait 84 m auxquels il faut encore ajouter le couvre-chef. Les deux premières pièces moulées en bronze de la statue ont donc été la tête et le pied gauche. 

 

Mais le chantier de la statue a dû être rapidement interrompu par suite des contraintes financières dans lesquelles le régime fasciste s'est retrouvé à partir de 1936 / 1937. Du fait de l'agression de l'Éthiopie par l’Italie et de son utilisation d’armes chimiques, des sanctions économiques ont été prononcées par la Société des Nations (limitation des importations de matières premières, contrôles bancaires), bien que celles-ci ne semblent avoir eu que des effets limités. Par contre le coût de la guerre en Éthiopie, comme de sa colonisation ainsi que celle de la Lybie, ont certainement joué un rôle important, limitant les disponibilités financières, l’Italie devant aussi préparer l’exposition universelle de 1942.

 

Aujourd'hui, il ne reste que de rares photographies des éléments de la statue qui avaient été réalisés, la tête et le pied gauche, et quelques dessins du projet de statue sur le mont Mario. Les Romains ont au moins échappé à ce ridicule et abominable projet !

 


[1] Fabio Isman. « Le architetture fasciste che ci siamo risparmiati ». In « Il Giornale dell ‘Arte ». 20 avril 2021.

[2] Marco Nicoletti. « Aroldo Bellini e il classicismo di primo novecento da Perugia alla capitale ». Conférence à l’Académie des Beaux-Arts de Pérouse. 16 février 2008.

[3] Outsider 13. « Aroldo Bellini e il colosso del duce ». 11 mai 2005.

 

Liste des promenades dans Rome et liste des articles sur le quatier de Flaminio

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