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Notes d'Itinérances
18 janvier 2014

Angkor (7/27). Architecture et symbolique du temple khmer.

Une architecture fonction de ses techniques, de la religion hindouiste et de ses représentations symboliques

 

 

Dans « Les mystères d'Angkor », un film d'espionnage assez médiocre de 1960, Angkor Vat sert de décor aux scènes finales du film. Le « méchant » y recherche un bonze à qui avait été confiée la formule d'une nouvelle arme. Le centre du temple, où se réfugie le bonze, est représenté comme une très vaste salle à colonnes où trône un Bouddha d'or, ce qui ne correspond pas du tout à la structure des temples khmers : le prasat central n'abrite qu'une chambre exiguë et sombre dans laquelle ne peuvent se tenir que quelques personnes autour du linga [1] ou, par la suite, de la statue de Bouddha.

 

Cette configuration du temple khmer est liée aux techniques architecturales utilisées. Les khmers ne connaissaient pas la voûte à claveaux [2] qui, par des reports de force dynamiques, permet seule de réaliser de grandes portées et de vastes salles. Ils utilisaient la voûte à encorbellement par superposition de pierres sur les murs latéraux, jusqu'à la jonction où  était posée une dalle à cheval... comme les enfants le font avec des cubes. Outre que la portée de la voûte par encorbellement est extrêmement limitée, elle est réalisée en masse et exige des murs épais, d'un mètre à un mètre cinquante, pour supporter les dalles. Les murs épais et la voûte étroite ne permettent donc que des pièces très réduites, de trois à cinq mètres de côté.

 

Mais cette configuration du temple est également liée à la religion hindouiste des Khmers. Le temple n'est pas un lieu de rassemblement des fidèles, un lieu de culte public comme dans les religions chrétienne et musulmane, mais la demeure du Dieu qui y séjourne dans la cella sous la forme d'une statue, ou de sa représentation symbolique, le linga. Il est aussi un mausolée à la gloire du souverain, Dieu sur terre, représentant d'Indra, le roi des Dieux. Les fidèles ne pénètrent pas dans les enceintes du temple, tout au plus peuvent-ils accéder à la galerie de la première enceinte, ouverte sur l’extérieur, afin de leur permettre, comme dans nos cathédrales, d’aller regarder les représentations qui courent sur les murs et qui racontent la création de l’univers.

 

En conséquence, en occident, notre représentation de l'architecture, et notamment de l'architecture religieuse, est liée aux volumes intérieurs, nef, salle, hall, qui permettent le rassemblement des fidèles et l’exercice du culte. Alors que, dans le temple khmer, c'est l'ensemble et la disposition des volumes des constructions comme représentation de l'univers qui importe. Cette différence explique à la fois l'incompréhension du metteur en scène du film, comme celle de Paul Claudel : « A cet énorme temple, on accède par une chatière, répétée, bien visible et exaltée, comme un petit trou noir dans le château central » [3].

 

Le temple khmer est une représentation symbolique de l'univers hindouiste : au centre, le mont Méru, demeure des Dieux, axe du monde.

 

« Au milieu le grand ananas central sous lequel était l'image de Shiva, dieu de l'amour et de la destruction » [4].

 

L'enceinte extérieure du temple figure les montagnes qui ferment le monde, les douves, l'océan primordial qui l'entoure. Le monde est né du « barattage de la mer de lait ». L'épisode est d'ailleurs rappelé par la présence des nâgas-balustrades [5] sur les ponts et jetées qui traversent les douves, comme sur les bas-reliefs de la première enceinte.

 

Le monument central est composé d'une pyramide à trois étages ceinturés de galeries, reprenant ainsi les principes architecturaux des temples-montagnes antérieurs, comme Takéo ou Baphuon. Mais, le temple-montagne est ici entouré d'éléments périphériques complémentaires, douves, enceintes, portique, bibliothèques, galeries, annonçant les futurs temples plats formant cloître du règne de Jayavarman VII, comme Ta Prohm ou Préah Khan.

 


[1] Linga : pierre de forme phallique représentant une des formes de Shiva. Le linga est associé au yoni, une pierre creuse, symbolisant ainsi l’union des principes masculin et féminin. Il incarne donc la Création.

[2] Claveau : Pierre taillée en coin.

[3] Paul Claudel. « Journal ». 1921.

[4] Idem.

[5] Nâga : serpent mythique, généralement polycéphale, génie des eaux.

 

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