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Notes d'Itinérances
27 mars 2023

Rome, étrange et curieuse (15/45). Rione Parione VI (2) – Un bavard impénitent – Piazza di Pasquino.

Une statue informe - Mais bavarde !

 

 

Près de la piazza Navona, à un coin de rue, est posé, sur un socle, un morceau de statue en marbre : « Pasquino » (photo). Malgré son visage très abîmé, sans compter qu’il est aussi cul de jatte et manchot, Pasquino est un des Romains les plus bavards qui soit ! Et cela dure depuis plus de cinq siècles. Autrefois, Pasquino était muet, il ne s’appelait d’ailleurs pas Pasquino mais Ménélas. Il a commencé sa carrière en Grèce, au Ier siècle avant Jésus-Christ et s’occupait de soutenir son ami mourant Patrocle lors de la guerre de Troie. Exilé à Rome, il disparut pendant près d’un millénaire pour réapparaître en 1501 lors de fouilles pour le pavage des routes et les fondations du Palais Orsini. Il a dû être jugé trop laid et amoché pour aller enrichir la collection d’antiques d’un riche amateur d’art [1] et le cardinal Oliviero Carafa le fit placer à l’endroit de sa découverte, au coin du Palais Braschi sur la Piazzetta di Parione. C’est là qu’il demeure depuis, même si de très nombreux projets ont été imaginés pour le faire disparaître.

 

C’est que, depuis sa découverte, la statue s’est mise à parler ! Et pas pour dire du bien des puissants ! La statue a commencé à s’exprimer quand, au début du XVIe siècle, le cardinal Oliviero Carafa a drapé chaque année, à l'occasion de la Saint-Marc (25 avril), le torse de la statue avec une toge décorée d'épigrammes en vers latins. Cette action a introduit la coutume d’écrire de courts poèmes satiriques en latin ou en romanesco (le dialecte romain), qui furent de plus en plus critiques, et de les suspendre au cou de la statue. De cette pratique est né le terme de « pasquinade », à savoir un pamphlet anonyme en vers ou en prose [2]. Non seulement Pasquino « parle » sous forme de libelles, mais il a un franc parler qui en indispose plus d’un, surtout les papes quand ils pressuraient le pauvre monde. Les Romains, gouailleurs et railleurs, prirent la fâcheuse habitude d’aller y placer des libelles et des poèmes satiriques vengeurs [3]. Après l’inauguration de la fontaine des fleuves (1651), sur la Piazza Navona, Pasquino a déclaré : 

 

« Ce que nous voulons, ce ne sont pas des obélisques ni des fontaines ; nous voulons du pain, du pain et encore du pain » ! 

 

Stendhal rapporte que Pasquino aurait également proclamé à propos d’Innocent VIII : 

 

« Cet être funeste a engendré huit garçons et autant de filles ; on peut donc l'appeler à juste titre le père de Rome » ! 

 

Si Pasquino est devenu la première statue « parlante » de Rome, elle n’était plus seule [4]. Il y en avait six dans Rome : « Marforio », figure masculine symbolisant un océan ou un fleuve, Neptune ou le Tibre, situé dans la cour du Musée Capitolin ; « Madama Lucrezia », un buste féminin, de deux mètres environ représentant Isis, installée au coin de l’église San Marco al Campidoglio ; « Facchino », buste masculin qui tient dans ses mains une barrique d’où surgit une gerbe d'eau, installé dans une niche de la via Lata ; le « Babuino », statue représentant un silène située via del Babuino, et enfin, « l'abate Luigi » une statue antique représentant un consul ou un sénateur romain, place Vidoni. Pasquino et les autres statues parlantes de Rome ne brocardaient pas que les papes. Après l'annexion des États pontificaux par Napoléon Ier, en 1809, celui-ci fit expédier en France de nombreux chefs d’œuvre. En 1810, Marforio proclamait: « E vero, Pasquino, Ghe tutti i Francesi sono ladri ? » (C’est vrai, Pasquino, que tous les Français sont des voleurs ?). A quoi Pasquino répondait : « Tutti, no, ma buona parte ! » (Tous, non, mais une bonne part ! Jeu de mot sur « Bonaparte »).

 

Aujourd’hui, Pasquino doit non seulement lutter contre la concurrence des journaux et télévisions, mais surtout contre les conservateurs intégristes de pièces antiques qui veulent « préserver » ce caillou antique en le nettoyant et interdisant tout affichage sur lui et son socle comme cela était devenu de tradition. Car l’important, ce n’est pas ce morceau informe de statue, mais bien le rôle historique qu’elle a joué dans l’expression des revendications du peuple romain !

 


[1] Bernini, à qui l’on demandait qu’elle était la plus belle statue de Rome, aurait répondu « celle de Pasquino » ; ce qui faillit lui attirer des ennuis, car son interlocuteur crut qu'il se moquait de lui.

[2] Cristina Giovannini. « Pasquino e le statue parlanti ». 1997.

[3] Mary Lafon. « Pasquino et Marforio, les bouches de marbre de Rome ». 1877. 

[4] Voir Rome par thèmes, les statues parlantes.

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