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Notes d'Itinérances
28 avril 2023

Rome, étrange et curieuse (31/45). Rione Borgo XIV (1) - Quand un bourreau vous offre du tabac – Ponte Sant’Angelo

68 ans de bons et loyaux services - Une difficile mise à la retraite

 

 

Heureusement, les touristes se lèvent rarement très tôt. Mais, si vous n’arrivez plus à dormir, évitez de vous rendre sur le pont Sant’Angelo avant le lever du soleil, vous pourriez y croiser un étrange personnage enveloppé dans un manteau écarlate. C’est Giovanni Battista Bugatti (1779 / 1869), dit Mastro Titta, « maestro di giustizia » (maître de justice), autrement dit le bourreau des États pontificauxde 1796 à 1865. C’est qu’il ne faudrait pas croire que le pape, quand il était une puissance temporelle, faisait preuve de beaucoup de charité chrétienne avec les détrousseurs, cambrioleurs, coupe-jarrets, criminels, violeurs, révolutionnaires ou opposants… La justice de l'État pontifical avait une très mauvaise réputation, l'affaire était discutée sans la présence de l'accusé et sans avocat de la défense ! Les exécutions capitales étaient nombreuses et publiques, piazza Sant’Angelo ou piazza del Popolo, et pouvaient donner lieu à des raffinements : décollation à la hache, pendaison, écartèlement avec exposition des différents éléments du cadavre aux quatre coins de la place, et mazzolata, un assassinat à coups de maillet sur la tempe [1].

 

Giovanni Battista Bugatti est décrit comme un homme de petite taille, corpulent, toujours bien habillé. Il était marié, mais n'avait pas d'enfants. Lorsqu'il n'exerçait pas ses éminentes fonctions, Bugatti et sa femme vendaient des parapluies et des souvenirs aux touristes… On ne se méfie jamais assez ! Les bourreaux devaient vivre de l’autre côté du Tibre (« Boia nun passa Ponte » - Le bourreau ne passe pas le pont). Mastro Titta habitait dans le quartier excentré du Borgo, vicolo del Campanile, au n°4 [2], une rue perpendiculaire à la via della Conciliazione, à mi-chemin entre le Château Sant Angelo et la basilique Saint-Pierre. Il ne pouvait traverser le Tibre qu'en prévision d'une exécution, pour sa préparation et sa réalisation. La phrase populaire « Mastro Titta passa Ponte » signifiait que quelqu'un allait être exécuté le jour même. Entre 1796 et 1864, en 68 ans de bons et loyaux service, Mastro Titta exécuta plus de 500 personnes, soit une moyenne de 7 exécutions par an, ce qui laisse effectivement un peu de temps pour vendre des parapluies et des souvenirs aux touristes [3].

 

Une curieuse tradition existait à Rome jusqu’en 1870. Les pères amenaient leurs fils aux exécutions, ils les faisaient assister aux tortures et à la mise à mort des condamnés. Au moment du décès, l'enfant recevait une gifle mémorable pour qu’il se souvienne de l'événement et pour que personne ne puisse être considéré meilleur que tout criminel ! Curieuse pédagogie…

 

Tutt’a un tempo ar paziente Mastro Titta
j’appoggiò un carcio in culo, e Ttata a mmene
un schiaffone a la guancia de mandritta.
«Pijja», me disse, «e aricordete bben
che sta fine medema sce sta scritt
pe mmill’antri che ssò mmejjo de tene

Tout à coup, le patient de Mastro Titta
reçoit un coup de pied dans le cul, et papa me
gifle la joue de sa droite.
« Ici », il me dit, « et souviens-toi bien
que cette fin est déjà écrite
pour mille autres qui sont mieux que toi [4].

 

On raconte que le bourreau offrait du tabac au condamné pour le mettre à l'aise et détendre l’atmosphère (dessin) ! Si, sur le Ponte Sant’Angelo, vous rencontrez un étrange individu, vêtu d’une cape rouge, qui vous propose de chiquer du tabac, fuyez ! C’est Mastro Titta qui « passe le pont ».

 

Je ne pense pas que les fantômes de Béatrice Cenci et Mastro Titta se fréquentent même s’ils hantent tous deux le pont Saint-Ange. Outre qu’ils n’étaient pas situés du même côté de la hache - côté tranchant pour Béatrice et côté manche pour Mastro Titta - ils semblent ne pas avoir les mêmes habitudes. Béatrice est plutôt située côté Piazza Sant’Angelo et elle n’apparaitrait qu’une fois par an, le 11 septembre, et de nuit. Alors que Mastro Titta serait plus du côté du Borgo, très assidu et matinal.

 


[1] La description d’une mazzolata est faite par Alexandre Dumas dans « Le Comte de Monte-Cristo ». Chapitre XXXV « La Mazzolata ». 1844 / 1846.

[2] La maison n’a pas été détruite lors des remaniements mussoliniens du quartier et existe toujours.

[3] Mastro Titta a noté 516 noms d’exécutés dans un carnet. En 1891, l'éditeur Perino s’en inspira pour publier de prétendues mémoires du bourreau « Mastro Titta, le bourreau de Rome : Mémoires d'un bourreau écrits par lui-même ». Voir le site de RomaSegreta : https://www.romasegreta.it/roma-nella-letteratura.html

[4] Giuseppe Gioachino Belli. « Er ricordo » (Un souvenir - en romanesco). 1830. In « Sonetti romaneschi ».

 

Liste des promenades dans Rome  et liste des promenades dans Rome étrange et curieuse

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