Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Notes d'Itinérances
24 juin 2022

Parione - Entre Campo dei Fiori et Place Navone (18/21). Pasquino, une des statues parlantes de Rome.

Une statue informe - Mais bavarde !

 

 

La via del Governo Vecchio débouche sur la piazza Pasquino où est posé, sur un socle, un morceau d'une statue de marbre, c’est « Pasquino » (photo). Malgré son visage très abîmé, sans compter qu’il est aussi cul-de-jatte et manchot, Pasquino est un des Romains les plus bavards qui soit ! Et cela dure depuis plus de cinq siècles. Autrefois, Pasquino était muet, il ne s’appelait d’ailleurs pas Pasquino mais Ménélas. Il a commencé sa carrière en Grèce, au troisième siècle avant J.C, et il s’occupait alors de soutenir son ami mourant, Patrocle, lors d’un des épisodes de la Guerre de Troie. Exilé à Rome, il disparut pendant un millénaire pour réapparaître en 1501 lors de fouilles pour le pavage des routes et la réalisation des fondations de l’extension du Palais Orsini. Il a dû être jugé trop laid et abîmé pour aller enrichir la collection d’antiques d’un riche amateur d’art [1]. Le cardinal Oliviero Carafa le fit placer à l’endroit de sa découverte, au coin du Palais Orsini, sur l’ex Piazzetta di Parione. C’est là qu’il demeure depuis, même si de très nombreux projets ont été faits pour le déplacer voire le faire disparaître.

 

C’est que, depuis sa découverte, la statue s’est mise à parler ! Et pas pour dire du bien des puissants ! La statue a commencé à faire parler d’elle quand, au début du XVIe siècle, le cardinal Oliviero Carafa a drapé chaque année, à l'occasion de la Saint-Marc (25 avril), le torse de la statue avec une toge décorée d'épigrammes en vers latins. Cette action du cardinal a introduit la coutume de critiquer le pape et son gouvernement en écrivant de courts poèmes satiriques en dialecte romain et en les suspendant au cou de la statue. De cette pratique est né le terme de « pasquinade », à savoir un pamphlet anonyme en vers ou en prose [2]. Non seulement Pasquino parle, mais il a surtout un franc-parler qui en indispose plus d’un, surtout les papes quand ils étaient une puissance temporelle et qu’ils pressuraient le pauvre monde. Les Romains, gouailleurs et railleurs, prirent la fâcheuse habitude d’aller y placer des libelles et des poèmes satiriques vengeurs [3]. Après l’inauguration de la fontaine des fleuves (1651), sur la piazza Navona, Pasquino a notamment déclaré : 

 

« Ce que nous voulons, ce ne sont pas des obélisques ni des fontaines ; nous voulons du pain, du pain et encore du pain » ! 

 

Stendhal rapporte que Pasquino aurait également proclamé à propos d’Innocent VIII Tomasello (1484 / 1492)

 

« Cet être funeste a engendré huit garçons et autant de filles ; on peut donc l'appeler à juste titre le père de Rome » ! 

 

Si Pasquino est devenu la première « statue parlante » de Rome, d’autres se sont mises à parler aussi ! Il y en avait désormais six dans Rome : « Marforio », figure masculine de la Rome impériale allongée sur un triclinium, situé aujourd’hui dans la cour d’entrée du Musée Capitolin ; « Madama Lucrezia », buste féminin colossal d’origine antique de deux mètres environ qui représenterait Isis, installée au coin de l’église San Marco au Palazzo Venezia ; « Facchino », buste masculin qui tient dans ses mains une barrique d’où surgit une gerbe d'eau, installé dans une niche de la via Lata (Palazzo De Carolis) ; le « Babuino », statue représentant un silène (être mythologique qui est représenté gonflé comme une outre) située via del Babuino, et enfin, « l'abate Luigi » une statue antique représentant un consul ou un sénateur romain, place Vidoni.

 

Mais Pasquino et les autres statues parlantes de Rome ne brocardaient pas que les papes. Après l'annexion des États pontificaux par Napoléon Ier, en 1809, celui-ci fit expédier en France de nombreux chefs d’œuvre. En 1810, une pancarte sur Marforio posait alors la question : « E vero, Pasquino, Ghe tutti i Francesi sono ladri ? » (C’est vrai, Pasquino, que tous les Français sont des voleurs ?). A quoi Pasquino répondait par une autre pancarte : « Tutti, no, ma buona parte ! » (Tous, non, mais une bonne part ! Jeu de mot sur « Bonaparte »)

 


[1] Bernini, à qui l’on demandait quelle était la plus belle statue de Rome, aurait répondu « celle de Pasquino » ; ce qui faillit lui attirer des ennuis, car son interlocuteur crut qu'il se moquait de lui.

[2] Cristina Giovannini. « Pasquino e le statue parlanti ». 1997.

[3] Mary Lafon. « Pasquino et Marforio, les bouches de marbre de Rome ». 1877. 

 

Liste des promenades dans Rome et liste des articles sur Parione

Commentaires
Visiteurs
Depuis la création 989 802
Promenades dans Rome